LAISSEZ BRONZER LES CADAVRES de THOMAS MORALES et M. LEGRAND

Quand le cinéma ressemble vraiment à du cinéma, le spectateur biche. Il est aux anges. Il en redemande. Nos yeux sont tellement fatigués par la mollesse de certains, les poses maniérées, le jeu faussement décalé et puis cette image souvent vitreuse, cette lumière tricheuse, ce cadrage fainéant, cette esthétique de bazar en somme, comme si filmer était un exercice scolaire et pédagogique pour une quelconque certification. Aucune invention, aucun talent, un cinéma de boutiquiers nous a envahis pour le plus grand bonheur des chaînes de télévision qui s’abreuvent à ce robinet d’eau tiède. Elles sont biberonnées aux ersatz d’action, de poésie et de sexe.

Un cinéma qui ne respire pas sous assistance

Au lieu de chasser la fake news, nous devrions combatte le fake movies, bien plus nocif pour notre démocratie et notre santé mentale. Car quand le septième art est pratiqué par des stylistes, Hélène Cattet et Bruno Forzani, le spectacle prend une tout autre ampleur. On élève le débat. En adaptant Laissez bronzer les cadavres, le polar de Jean-Patrick Manchette et Jean-Pierre Bastid paru en 1971 dans la Série noire, ils nous maintiennent en vie.

Enfin un cinéma qui ne respire pas sous assistance, un cinéma qui a du jus et de la mâche. On est saisi par la richesse artistique de ce long-métrage, jamais bavard, fourmillant de trouvailles scénaristiques et d’éclats visuels. La pellicule brûle notre rétine. J’ai vraiment attrapé un coup de soleil. Un cinéma dont les références justes et intelligentes (Pierrot le fou, western italien, etc…) n’empêchent pas de profiter du moment. La cinéphilie militante coupe parfois l’envie. Cattet et Forzani filment le désir au plus près de la peau, sans filtre et mode d’emploi. Les corps exultent sous leur caméra avec toujours une élégance si rare de nos jours. Ils ne tombent jamais dans le piège de la vulgarité. La pure tradition néo-polar (mauvais garçons, haine sociale et brutalité sociologique) est respectée. Les deux réalisateurs nous servent sur un plateau un film de genre aussi glacé qu’une liqueur de myrte. Le sang coule, les pétoires s’encanaillent, ça tire dans tous les coins pendant que les hommes s’embrouillent.

Un décor asphyxiant de beauté

Une bande de braqueurs menée par Rhino (Stéphane Ferrara au meilleur de son poids de forme) accompagné notamment du « gros » (Bernie Bonvoisin excellent en chérubin vengeur) a dérobé 250 kg d’or. Ces vacanciers d’une humeur très particulière qui ont des flingues de concours, sont hébergés chez une artiste multi-orgasmique. Un succube adepte de performances arty-érotiques. Cette possédée aux seins d’or, splendidement interprétée par Elina Löwensohn a le chic pour envenimer les rapports humains. Les choses vont se compliquer avec l’arrivée d’un enfant et deux motards sanglés de cuir. Rien ne serait pareil sans le décor asphyxiant de beauté, celui du village abandonné d’Occi en Balagne.

La méditerranée à l’horizon, la sécheresse du maquis, les tirs croisés dans la montagne, des filles superbes et folles, l’appât des lingots, une Peugeot 504 à l’agonie, de la viande rouge et des alcools blancs, nous ne sommes pourtant pas très loin du Club Med de Sant’Ambroggio mais les gentils organisateurs se sont fait la malle. Ici, l’assaut final est inéluctable. Comme si c’était inscrit dans les gênes de tous ces personnages, la mouise est leur destin, la poussière leur terminus. L’issue ne fait aucun doute. Si vous ne voulez pas bronzer idiot pendant 97 minutes, accrochez-vous à votre fauteuil et laissez-vous guider par la virtuosité de ce duo d’esthètes.


Tout a été dit et écrit sur la disparition, ce week-end, de Michel Legrand. Le jazzman oscarisé a souvent eu le don de nous agacer au cours de sa longue carrière surtout lorsqu’il poussait la chansonnette. Derrière le piano, sa tignasse frisée bougeait au rythme de ses lunettes comme si sa jeunesse exaltée guidait une interprétation féroce et toujours possédée. Péremptoire, sûr de son génie de la mélodie, cinglant et percutant, il cavalait seul, n’écoutant que son tempo intérieur.
Il fallait de l’assurance pour s’imposer à Hollywood et croire en sa bonne étoile. La modestie n’est pas l’instrument favori des surdoués du clavier. Legrand portait bien son nom. La petitesse des existences ternes lui était totalement étrangère. Il traçait son chemin sans se retourner, n’ayant qu’une obsession cinématographique : l’émotion la plus juste, une partition qui accompagne chaque soubresaut de l’âme, sans brusquerie, ni mièvrerie. Il fut, sans nul doute, le meilleur orchestrateur des Trente Glorieuses.


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