LE ROSÉ QUI TACHE et OSONS LE BOB par THOMAS MORALES




Qu’y a-t-il de plus pénible que deux amateurs de vin qui discutent entre eux ? Des philatélistes en congrès ? Des fans de Benjamin Biolay ? Des coachs sportifs carénés comme des monospaces ? Des auditeurs de France Musique ? Des déçus du sarkozysme ? La coupe est pleine. Les apprentis œnologues sont la hantise des dîners du samedi soir. Ils ramènent leur science bouchonnée à tout bout de champ et nous abreuvent de cépages inconnus. L’ivresse de leurs connaissances fait monter illico notre alcoolémie dans le sang. Ils nous saoulent bien avant qu’on ait pu tremper nos lèvres dans un verre Inao. C’est à l’instant précis où ils prononcent le terme meurtrier de « typicité » pour évoquer un quelconque terroir que nos défenses immunitaires lâchent définitivement. On aimerait que la maîtresse de maison nous apporte un entonnoir et qu’on leur fourre dans le gosier presto.

Le rosé contre les experts

Leur faire boire (de force) un litre de Villageoise nous calmerait momentanément de leurs élucubrations. Ces forcenés des foires aux vins ont un avis sur tout : l’alliance des mets, la saison des vendanges, la qualité du liège, l’épaisseur des fûts, les cycles de la lune et la couleur de la culotte du vigneron. À Paris, il existe des listes noires où ces individus sont fichés. Avant d’organiser une soirée, mieux vaut y jeter un œil sous peine d’avoir une sévère gueule de bois, le lendemain. Le vin et, depuis quelques années, la nourriture, sont prisonniers d’une communauté d’experts imbuvables. Il se peut que, par malchance, vous tombiez un jour sur un spécialiste du bœuf de Kobe qui a parcouru la Napa Valley durant ses vacances. Alors là, double peine, œnologue de foire-expo et apprenti-boucher. La tête farcie d’approximations et de poncifs, cette langue des forts en anathèmes. L’été, ces casseurs d’ambiance, frustrés de la boutanche, marchent à l’ombre. On les entend moins. Ils ont le vin mauvais. Le règne du rosé leur cloue le bec. Les grands crus passent à l’as.

Coude sur la table et rosé à la main

Vive la fraîcheur frelatée du rosé ! La soif l’emporte sur les débats houleux entre appellations plus ou moins contrôlées. Même si, en sourdine, ils continuent à divaguer soutenant que le rosé (sans atteindre la puissance sensorielle du rouge ou du blanc) s’est nettement amélioré, qu’il y a même de très bons producteurs aujourd’hui en France, que la filière a su s’organiser face à la concurrence des vins du nouveau monde, et voilà que ça redémarre, stoppons ces délires éthyliques ! Les leçons de maintien à table n’ont plus lieu d’être sous la chaleur de juillet et d’août. On se moque d’où vient le rosé, s’il a été récolté à la main ou à la truelle, par un paysan ou un chimiste. Le rosé ne s’embarrasse pas de l’étiquette. Il n’oblige pas le consommateur à sortir son passeport ou ses faux diplômes de sommelier. Il s’enquille en famille ou entre amis, sans thèses et prétextes moraux. Bon ou mauvais, on ne saurait dire, fruité ou pétillant, on s’en fout, charpenté ou léger, ça reste un mystère, le rosé ne se déguste pas, ne s’explique pas, il se boit dans les rires sous les parasols.

Le goût des soirs d’été

On sait juste que sans sa présence miroitante sur une terrasse, les vacances auraient un goût d’inachevé. De raté certainement. Avez-vous entendu mugir de féroces flacons de rosé à la cave, dans les campagnes, un soir d’été ? C’est beau comme du Herbert Léonard au soleil couchant. Ce tintement est aussi enchanteur que celui des cigales. Un appel à dénouer sa cravate et ne pas se prendre au sérieux. Le rosé donne le top départ des vacances. Il rythme l’horloge biologique du touriste. Il le guide durant tout son séjour. De quoi vous souviendrez-vous en septembre ? De cette église romane, de cet aqueduc, du cri du cormoran ou des bouteilles qui s’entassent dans l’escalier ? Le rosé est une forme avancée d’humanité qui annihile les emmerdes du quotidien. Un parangon de fraternité. Un médicament de l’âme.

Osons le bob!



Pour les hommes, le choix du couvre-chef en dit long sur leur psychologie profonde. Sur une certaine façon d’appréhender la vie en société. Sur une manière de draguer et même de penser. Des modes viennent parfois parasiter les élégances usuelles. Ces dernières années, le panama s’est imposé comme le nouvel accessoire masculin de l’été, un attribut de la virilité urbaine au même titre que la barbe de trois jours et les sneakers au pied. Un étendard grégaire et passe-partout. Une panoplie servile et transparente. Le panama a le même effet que le soutien-gorge pigeonnant, il trahit les vrais sentiments.

La peur du conformisme aboutit à une uniformité des genres et des pratiques. Un jeu de rôles qui ne dupe personne mais a l’avantage de distraire sur la plage ou au bal du 14 juillet. Les colonnes de retraités en panama amusent autant que les pétards mouillés, le soir du feu d’artifice. En vacances, évitez donc les déguisements tropicaux pour les marchés bio.

Ne poussez pas la panoplie du commerce équitable jusqu’à la caricature. Los gringos, no pasáran ! Laissez ces colifichets aux Sud-Américains et préférez un retour aux sources. Pensez français ! Buvez local ! Les alcools exotiques et les bikinis riquiquis tournent la tête. Misez plutôt sur le bob Ricard ! Comble du snobisme, il fera de vous une personne responsable qui ne rejette pas en bloc la tradition de l’apéro et de la pétanque. Et qui tient à le faire savoir. Affirmation suprême du pittoresque mauresque, ce fichu provençal, voile balnéaire ouvert sur les cultures du monde, est un message de paix. Les ouvriers du bâtiment l’ont adopté depuis longtemps. Lusitaniens ou maghrébins, ils savent ce qu’ils doivent au bob dans leur intégration. Bob ou laïcité, même combat républicain. Qu’attend l’humaniste Patrick Sébastien pour déclarer sa flamme à ce symbole de la fraternité ? Un hymne païen lui irait comme un gant.

En dehors de son côté pratique, pliable à l’envi, modulable comme un monospace sept places, il se glisse dans la poche de votre bermuda ou dans votre cabas. En toutes circonstances, il garde sa forme informe, son inimitable froissé. Il n’est pas démodé car son intemporalité le range parmi les classiques de l’été. Il y a en lui une insoupçonnable langueur érotique. Il transgresse les classes sociales. Son œcuménisme dérange. Par principe, certains refusent de l’essayer, peur du ridicule ou soumission à une société de l’image. Le bob demande du courage et de l’abandon. Pourtant dès que vous l’avez installé sur le sommet de votre tête, il la moule à la perfection, il s’accommode de toutes les coupes de cheveux. Aussi à l’aise avec le chauve que le rasta, il surmonte tous les handicaps capillaires. Ce caméléon ne craint aucune particularité physique.
Avec lui, vous redevenez désirable, tout en conservant une part de mystère. Vous vous transformez en inconnu des buvettes. Tantôt mystique ou étrange, il complète une tenue avec cette touche d’indéfinissable charme français. En short ou en smoking, il surprendra. À Cannes ou Palavas, il séduira. Les jeunes femmes loueront votre audace et votre sens de l’humour. Elles ne sauront dans quelle case vous ranger. Un garçon qui s’affiche en bob avance sans œillères. Il se moque du qu’en-dira-t-on, il protège seulement son crâne en laissant sa personnalité s’exprimer.



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