LE TOUR DE FRANCE : LES CHEVALIERS DE LA FABLE RONDE par THOMAS MORALES

Sans le Tour, juillet serait banni du calendrier. Exclu de la compétition annuelle pour inanité de tempérament. Un septième mois qui ne doit son existence qu’à la permanence de cette Grande Boucle. Seule borne temporelle qui résiste à la frénésie d’un monde en mouvement. Seul repère qui nous fait croire et espérer dans la consistance de notre pays, de sa géographie intime à son âme vagabonde, de son patrimoine immarcescible à ses beautés naturelles. Tant que le Tour s’élancera durant trois semaines sur les routes secondaires, notre nation conservera sa mystique primaire.

Le Tour de soi

N’y voir qu’une course cycliste, c’est manquer de souffle et, aussi, à son devoir de citoyen. Car la flamme du Tour ravive, chaque été, des souvenirs enfouis et légitime la redevance télé. Cette épreuve est le miroir de notre identité, tantôt fontaine de jouvence, tantôt réceptacle de nos rêveries les plus abstraites. Regarder le Tour, se laisser emporter par sa geste chevaleresque et ses accents populaires, c’est d’une certaine façon reprendre possession de son destin chaotique. Refuser la productivité, la concurrence béate et toutes les injonctions de la performance qui hantent notre quotidien. Le Tour nous offre un répit salutaire dans nos activités brouillonnes et vaines. 21 étapes au compteur de cette édition 2018, soit 3 329 km entre le samedi 7 et le dimanche 29 juillet, entre Noirmoutier-en-l’Île et les Champs-Elysées, sans jamais grimper en danseuse, sans une goutte de sueur à son front, les fesses tranquillement lovées dans son canapé, juste un rafraîchissement à la main quand le peloton prendra le départ de l’inextinguible 7ème étape, longue de 231 km, le 13 juillet prochain entre Fougères et Chartres.

Le vélo, par ses efforts violents et ses aléas répétés, nous enseigne l’humilité et le pardon. Dans une échappée solitaire, il y a un défi dérisoire et splendide qui illuminera nos après-midis poussifs et qui nous rendra si nostalgique. Par écran interposé, les forçats de la route feront rejaillir sur nous, une part de leur dignité. Peu de sportifs professionnels endossent à ce point des désirs frustrés, des victoires éclatantes ou des défaillances intérieures. Le Tour exhale les sentiments les plus puissants en quelques jours, il comprime la vie jusqu’à la faire exploser. Les 22 équipes de 8 coureurs qui partiront à l’assaut de notre Hexagone souvent incompris ne feront pas du tourisme vert. Ils endureront les pires conditions durant cet interminable périple. Ils goûteront même aux délices de trois nouvelles ascensions (Montée du Plateau des Glières, Col du Pré et Col du Portet), à 21,7 km de pavés taquins ou à 31 km pimentés de contre-la-montre individuel entre Saint-Pée-sur-Nivelle et Espelette. L’esprit d’équipe sera ardemment imploré dans la bonne cité de Cholet pour décrocher un chrono.

« Le Tour est mon manteau parce que je m’y sens enveloppé »

Alors, oui, à la veille du départ, on a des fourmis dans les jambes et on gamberge sur le passé glorieux. On relit Christian Laborde et son merveilleux portrait de Jean Robic, vainqueur en 1947 sur un cycle Genial Lucifer. On repense à la victoire de Bartali en 1948 que Jacques Goddet, le directeur du Tour casqué, qualifiait ainsi : « Jamais vainqueur, cependant, ne fut plus indiscutable ». Des surnoms restent gravés dans notre mémoire : Charly Gaul, « l’ange de la montagne », Federico Bahamontes, « l’aigle de Tolède » ou Eddy Merckx, « le cannibale ». Des images insoutenables aussi comme Simpson s’écroulant à deux kilomètres du Mont Ventoux. Des plus joyeuses par centaines, celles de Bobet vainqueur du Tour du Cinquantenaire en 1953, du mano à mano Anquetil-Poulidor en 1964 ou de Hinault enfilant son maillot jaune La Vie Claire-Wonder-Radar en 1985.
Et puis, quand démarre un nouveau Tour, on relit les classiques, le funambule Blondin, l’as des sprinters-chroniqueurs : « Le Tour est mon manteau parce que je m’y sens enveloppé, protégé et, ce qui m’est bien nécessaire, guidé. Ainsi, dans le cadre et l’encadrement du Tour, j’ignore la vacuité des jours et leurs agressions. En vérité, je crois qu’il n’existe que trois endroits privilégiés où l’adulte civilisé puisse éprouver sa liberté : un taxi, quand le chauffeur baisse le drapeau du compteur ; les toilettes, quand se ferme le verrou ; et le Tour de France, quand la course situable et intouchable nous livre à la plus délectable des solitudes : celle qui est peuplée ».





Thomas Morales
Journaliste et écrivain.Spécialiste reconnu du cinéma et de l’automobile, il collabore à des revues parmi lesquelles Valeurs Actuelles, Service Littéraire, Schnock, Technikart, etc... Il écrit dans la presse automobile depuis près de 20 ans et nourrit depuis son enfance une passion pour les voitures anciennes, les Hussards ...
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