ON BOIT FRAIS A ST TROPEZ par TH. MORALES ou LES PLASIRS COUPABLES (5/9) et LE MONOKINI, DEMAIN, JE REMETS LE HAUT

L’ennui est un puissant aphrodisiaque surtout lorsque vous habitez loin des plages. Les étés à la campagne ont une langueur monotone, aussi poussive qu’une mobylette à l’assaut d’une côte de quatrième catégorie. Les maisons sentent l’encaustique et la lavande en sachets. L’herbe jaunie a envahi les prairies. À partir de midi et demi, la place du village cuve son mauvais vin dans une léthargie inquiétante. Pas âme qui vive dans un rayon de dix kilomètres. Le canton somnole et repense à sa gloire passée quand la coopérative agricole animait le bourg. Elle a fermé depuis vingt ans comme l’école publique et la caserne de gendarmerie. Même les grands-mères ont remballé leur cabas à cette heure de la journée. L’épicier ambulant a remisé sa camionnette au garage. Le patron du bar pense revendre sa licence IV et s’exiler en ville. Le curé rafistole la toiture de l’église sans l’aide de ses ouailles.

Aujourd’hui, la foi est un plat qui se mange froid. Le médecin est parti aux Baléares en laissant ses patients aux soins des lointaines Urgences. Le maire refait ses comptes, la fin d’année risque d’être difficile. Les touristes ne sont pas encore venus malgré l’offensive du syndicat d’initiative. La campagne de publicité lancée dans le journal local n’aura attiré qu’une famille de Hollandais qui, après vérifications, s’est retrouvée par hasard dans notre bled, à cause d’une erreur de GPS. Cette saison n’en finit donc pas comme certains quinquennats. Les foins voltigent dans les airs et provoquent des éternuements en rafale. Seules les moissonneuses-batteuses bloquent les routes avec méthode et amusement. Des colonnes de tracteurs s’élancent sur les départementales en rejouant le Débarquement. Les paysans ragaillardis sortent de leurs étables après plusieurs mois d’hibernation. Et dire que le comice agricole n’aura lieu que dans sept ans. Le bitume fond au soleil. Toute tentative de bouger est vouée à l’échec.

Sous un ciel d’enfer, le vélo, le ping-pong ou le croquet sont bannis. Ce jeune rural en déshérence attend sagement sa majorité pour aller voir ailleurs. Sans le permis de conduire, c’est un prisonnier qui occupe ses heures vides à tourner en rond et à sucer des bâtonnets de glace. En une semaine, il a vidé le congélateur et lu deux SAS, un Léo Malet et un San-Antonio. En parcourant le programme télé, il a vu que ce soir, la trilogie de Max Pécas (Les Branchés à Saint-Tropez, Deux Enfoirés à Saint-Tropez et l’inénarrable On se calme et on boit frais à Saint-Tropez) repassait pour la centième fois sur une chaîne de la TNT. Il devait avoir treize ou quatorze ans quand il a fait connaissance avec ce cinéaste balnéaire, ce Pagnol du nanar sous cagnard. Ce fut un choc esthétique. La gaudriole des parasols avait trouvé son maître à filmer. Il y a chez Pécas un côté kamikaze qui frise l’art et essai et qui défrise les intellos de la vidéo. Une tentative désabusée et magnifique de jeter sur pellicule tout ce qui d’habitude est interdit, proscrit par les guildes professionnelles. Pécas brise les diktats du scénario bétonné, de l’image léchée, du jeu millimétré, d’une forme de linéarité relativement ennuyeuse.

Ça flotte, ça tangue, ça joue mal sans que le plaisir de voir et revoir ces œuvres érotico-comiques ne diminue. On est toujours surpris par l’incongruité du propos, la balourdise des répliques, les poses exagérées qui feraient passer Jerry Lewis pour le frère jumeau du mime Marceau. En un mot, ça dégouline de partout, on ressort de cette expérience visuelle le corps barbouillé d’huile solaire et la bouche pâteuse. Trop de barbe à papa. Trop de déconnade. Trop de maillots de bain. Voir un Pécas au creux de l’été, c’est se jeter à poil dans une sangria fraîche, bien poisseuse, alcoolisée à la limite de l’entêtement.

Ce documentariste des vacances fantasmées où le rigolo s’allie à la bimbo n’a aucune limite. Il laisse le bon goût aux chipoteurs, à tous ces cinéphiles frustrés qui pensent le cinéma comme on résout une équation mathématique. Il n’intellectualise pas. Il ne reste jamais sur la réserve. Il balance tout dans une démarche artistique aussi suicidaire que débonnaire. Il filme, de préférence, des filles en topless et string saillant sur le sable, au Club, dans un cabriolet ou en boîte de nuit. Son domaine d’intervention nous change du décor blafard et misérabiliste du cinéma engagé. Pécas est dégagé de toute responsabilité. Sa citoyenneté s’arrête au bord de la piscine.

La France, un paradis perdu

Nous étions jusqu’à peu une destination protégée des diktats vestimentaires, de cette uniformité morale qui confine à l’obscurantisme. En France, le sein était libre et vibrant, provocateur ou timide, victorieux ou résigné, en aucun cas humilié. On le respectait, on le vénérait, on ne touchait pas à son indépendance. Il s’affichait sans tabou, sans honte et sans reproche. Il incarnait notre liberté d’opinion, nos foucades et nos paradoxes, nos audaces et nos impertinences. Que sommes-nous devenus pour le haïr à ce point ? Un peuple qui réglemente, qui contraint et qui perd son âme. Désormais, le sein sera caché, nié, enfermé dans un carcan, privé de la moindre expression esthétique, banni de nos côtes ensoleillées. Les salauds, ils l’ont bâillonné.
J’ai eu un coup au cœur. Puis ma vie a défilé, j’ai revu, les yeux embués, Brigitte à la Madrague, Nicole Calfan photographiée par Mireille Darc, le Saint-Tropez d’Eddie Barclay, L’Année des méduses, etc… Et j’ai repensé à cette chronique de Louis Guilloux datant d’août 1922 intitulée « Les Américains chez nous ». Si certains touristes viennent pour l’agrément écrivait-il, d’autres « sont venus faire une croisade ». « De temps en temps, il pousse ainsi, dans une ou deux cervelles américaines, cette idée qu’il faut absolument venir morigéner le vieux monde ; mais, il reste à savoir si le vieux monde se laissera morigéner, et acceptera de vivre comme l’on vit en Amérique », ajoutait-il. Aujourd’hui, le vieux monde s’est rhabillé.



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