DUMAS et DEFOE, MES RELECTURES DE PRINTEMPS Thomas Morales

  Un inédit de Dumas et "Robinson Crusoé" en Pléiade

 

Un Dumas inédit

Qu’il est rafraîchissant de se laisser porter par la plume alerte de Dumas. Point de lourdeurs disgracieuses, de dialogues à la graisse de cheval et de ces longueurs qui assassinent le lecteur, à la veillée. Nos élites devraient relire Dumas, ça donnerait un peu de panache à leur action et de clarté à leur discours. Moins de 200 pages, c’est court diront certains prosateurs universitaires, adorateurs fous des notes de bas de pages. C’est l’assemblage choisi par Alexandre Dumas pour « Le Comte de Mazzara, pour la première fois publié en volume par les Éditions Manucius, dans leur très réussie collection « Aventures & Mystères » dirigée par Mathilde Ribot.

Cette longue nouvelle a paru dans Le Mousquetaire II, quotidien éclair (novembre 1886-avril 1867) dont Dumas fut le directeur. La genèse de cette œuvre (le décor historique et la virtuosité du propos) est parfaitement restituée dans une préface signée Philippe Radé. Cette partition à quatre mains associe le maître à Ferdinando Petruccelli della Gattina, député et homme de lettres italien (1815-1890). L’élan et le coup de rein final sont, sans nul doute, de la patte du grand Alexandre. On y retrouve le style fumant, les intrigues, la répartie, la cadence, la fougue et le goût sans lesquels un texte se meurt. En mai 1860, dans le Port de Palerme, sous les bons auspices de Garibaldi, les fleurets s’aiguisent comme les couteaux de cuisine. Le lecteur salivera au son des marmites et d’un repas divin : « poulet frit à la chasseur et des œufs brouillés au jus de rognon et aux pointes d’asperges ». Et il succombera à cette langue abrasive : « Dans les provinces méridionales il n’y a d’amour qu’avant le mariage et de galanterie que dans l’adultère ».
Le Comte de Mazzara d’Alexandre Dumas – Editions Manucius

Robinson relié peau

Il y a des livres qui n’en finissent pas de nous fasciner, de nous nourrir et de nous interroger aussi. Le Robinson Crusoé de Daniel Defoe fait partie de ces « monstres » de la littérature soumis aux interprétations multiples qui émeuvent la critique littéraire depuis 1719. Jusqu’au 30 juin, l’édition de la Pléiade est au prix de 47 euros (offre de lancement). C’est un luxe auquel un honnête homme ne peut se soustraire. 1 040 pages. 209 illustrations. Une carte des voyages de Robinson. Un appareil critique inédit. Une préface de Baudouin Millet. La traduction de Pétrus Borel (publiée à Paris en 1836). Et encore d’autres surprises dans cette œuvre qui condense et expie l’humanité. Ce Pléiade est un compagnon de voyage des plus précieux. Qui peut résister à cette première ligne : « La vie et les autres aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé, marin de natif de York, qui vécut vingt-huit ans seul sur une île déserte de la côte de l’Amérique près de l’embouchure du fleuve Orénoque, après avoir été jeté à la côte au cours d’un naufrage dont il fut le seul survivant, et ce qui lui advint quand il fut mystérieusement délivré par les pirates. »
Robinson Crusoé, Daniel Defoe – Bibliothèque de la Pléiade

L’avantage des chroniques de Thomas, c’est qu’elles résistent à toutes les basses saisons et n’ont donc aucune date limite de consommation.
Ce dernier recueil, Tais toi quand tu écris, est pourtant un peu plus millésimé que les précédents, couvrant la période de la dernière pestilentielle érection, et de sa campagne rase, rasante et harassante.
Élégant, enlevé, tranchant double, notre Morales toujours en berne, toujours punk pour le no futur et milord pour le travail de sape ! Côté pile : on endosse le Barbour ou la veste Renoma. Côté face: Never Mind the Bollocks version live en bande son.

Du temps où Paris était encore dans Paris

Nous voilà donc encore transportés en des temps plus légers, où le marteau-pilon ne faisait pas les trois huit. Paris était encore dans Paris, les demoiselles à Rochefort et les parapluies à Cherbourg, le Break Volvo et le tweed dans le garage et le dressing du paternel. Flics et voyous trinquaient même encore au pastaga dans des troquets du vieux Nice : un semblant d’ordre régnait, tout ne cramait pas, lon était en plein dans ce qu’on surnommerait plus tard les Trente Glorieuses.
Les fleuves jaunes laissent aujourd’hui un goût bien plus amer sur les langues. Mais Thomas considère qu’il ne sert à rien de gueuler comme un veau sauce de Gaulle. Il écrit sans trop élever le ton. La pente prise offre souvent des pourcentages hors catégorie niveau connerie, mais en maillot jaune ou à pois, notre Charly Gaul chronicoeur ne change ni son braquet ni son vieux fusil d’épaule. Sans trop de mots plus hauts que les autres, notre Tom Pouce (si pratique pour faire du stop) offre sa tranche de sédition à la hussarde et à la coule, tournant le dos à la start-up nation sans avenir et aux autostrades de la propagande continue.

Il voulait faire Bébel

Tout ce qui n’a pas été patiné par le temps, rodé sur toutes les nationales ou départementales de l’Hexagone, tout ce qui n’a pas pris la poussière sur une platine vinyle, été tourné au 16 millimètres ou réchauffé directement dans des vieux pots, l’indiffère.  On lui envie de savoir mener une guerre aussi froide que sa colère de tout voir partir en couille dans le vieux pays.
Oncle Tom repasse toujours le même (micro) sillon dans les champs cotonneux du rêve, de la nostalgie et de la mélancolie. Celui-ci laisse des traces aussi profondes que la France entre Paris et Berry. Le refrain d’«Ouh, là, là Land» tourne en boucle. Et le disque craque un peu sous les diamants d’antan…
Cavaleur sans moustache à la Rochefort ou à la Marielle, et sans espoir de conquête, l’âge des Rastignacqueries étant passé, notre camarade, quand il s’épanche sur son passé, révèle parfois une anecdote éclairante. Ainsi nous confia-t-il un jour que lorsque l’on lui demandait, gamin ce qu’il souhaitait faire plus tard, ce n’était ni cosmonaute, ni pompier, ni flic, ni voyou mais un peu tout cela à la fois : Jean-Paul Belmondo ! Oui, Thomas voulait simplement faire « Bébel » quand il serait grand. Les ambitions enfantines ne sont jamais dénuées de noblesse.

L’avenir de nos souvenirs 

Notre ami rejoue d’ailleurs au quotidien quelques scènes du Magnifique de son très cher Philippe de Broca. Laissant Bob Saint-Clar et ses cascades à une doublure, il peut camper un François Merlin fort crédible : comme celui-ci, Thomas aime le voyage en solitaire, en marginal, en la bouclant et en cognant comme un sourd sur le clavier de la Remington portative.
Et qui d’autre que lui pour reprendre à son compte – d’auteur – cet extrait de la lettre originale à France, d’un autre exilé, aux yeux sensibles, à oreille absolue et à pétoulet si ferme qu’il l’afficha un jour au nez et à la barbe de la France pompidolienne : « Mais qui peut dire l’avenir de nos souvenirs ? »
En pinçant autant pour la ligne claire de Chardonne que celle de Pascal Thomas ou Polnareff, Thomas Morales vit en chimérique…
Tais-toi quand tu écris, Thomas Morales (Pierre-Guillaume de Roux)


Commentaires