PARIS AU MOIS D'AOUT ET PRÉPARER ROLAND GARROS SANS SE FATIGUER PAR thomas Morales

Nous l’attendions depuis si longtemps. Notre arlésienne sépia d’avant les travaux d’excavation, d’avant les défigurations successives. En ce milieu des années 60, les édiles municipaux n’avaient pas succombé au grand remplacement architectural. Le factice et la laideur n’avaient pas leurs entrées dans les ministères. La vieille cité luttait avec ses armes fragiles, telle une beauté de pierre qui refuse de se farder le jour de la noce forcée. Même la tractopelle et le béton ne concurrençaient pas la faucille et le marteau dans les convictions politiques des ouvriers. Les Halles tenaient debout. La Samaritaine et la Belle Jardinière se regardaient en chiens de faïence. Les trottinettes, ces déjections alcalines, ne jonchaient pas les trottoirs de la capitale. La vulgarité des panneaux publicitaires ne souillait pas la vue des habitants.

Une douceur de vivre au goût amer

Plusieurs fois, j’ai sollicité Pathé jusqu’au harcèlement pour que ce film ressorte. C’était une question de mémoire affective et d’intérêt patrimonial majeur, comment Paris au mois d’août réalisé par Pierre Granier-Deferre en 1966 avec Charles Aznavour et Susan Hampshire dans les rôles principaux pouvait rester enfermé dans les bobines de l’histoire ? Certains anciens se souvenaient d’une lointaine et hypothétique diffusion à la télévision française, je ne croyais pas vraiment ces illuminés cathodiques. Des fétichistes s’échangeaient bien quelques VHS effilochées au prix du diamant à Anvers, derrière des zincs dépolis de banlieue. Le long-métrage faisait frissonner notre nostalgie à fleur de peau et ravivait notre désir d’humanité. Il agissait comme une musique déchirante et populaire, sortant d’un banal piano à bretelles. On pressentait inconsciemment que se nichaient dans ce film disparu, une douceur de vivre au goût amer et la vision d’un éden recouvert de pavés luisants. Un Paris enfoui, non trafiqué, insolent, protégé des démolisseurs, sous cloche dans sa nudité primitive.

le DVD existait bien. Il était né le divin garnement. L’objet tant convoité après des années d’attente. Une version restaurée 2K et scan 4K avec le soutien du CNC dans un coffret comprenant un DVD et un Blu-Ray est à la vente depuis le 24 avril dernier. Fébrile, les mains moites, après un passage express à la FNAC la plus proche de mon domicile, le film tant désiré prenait place dans mon lecteur. Si vous êtes fâché avec Paris, ce que la ville est devenue, ce qu’elle véhicule de faux-semblants, ce retour aux sources est un enchantement. Les rues se vident en ce mois d’août 1966. Le chant des oiseaux remplace, peu à peu, le concert des klaxons. Le Pont-Neuf n’a jamais paru aussi juvénile. Les grilles du Luxembourg laissent filtrer la mélodie du bonheur.

Apéro, tiercé, belote 

Cette escapade fugace dans le temps nous rappelle combien notre pays traçait sa route, indifférent aux modes et aux chantages. Jadis, on venait à Paris pour effleurer cette légèreté-là, s’imprégner de cet air si particulier, instable en diable, se laisser porter par les élans du cœur. Le roman de René Fallet raconte un amour d’été, entre Henri Plantin, vendeur au rayon pêche de la Samar et Patricia Seagrave, cover-girl anglaise, Pat pour les intimes. De ces emballements que l’on conserve pieusement durant toute une vie. Il n’y avait qu’à Paris que la morale se foutait des classes sociales et des convenances. Avant l’arrivée de Pat dans son existence mécanique, Henri jonglait entre l’apéro, le tiercé, la belote, la pêche à la ligne et sa petite famille unie. Seule l’ombre de la mère Pampine, cette concierge délatrice à l’ancienne, noircissait le tableau d’un ménage solide. Et puis, l’épouse et les enfants sont partis à Concarneau en vacances. Henri erre dans un Paris de cartes postales. Les Champs-Elysées sont déserts. Les Tuileries somnolent. Les Quais se dorent la pilule. Seuls les abords du tombeau de l’Empereur enregistrent un volume sonore comparable à la Place de la Concorde, un soir d’hiver, à la sortie des bureaux. Cet homme marié, en quête d’aucune aventure, tombe sur Pat. Comment résister à cette blondeur assassine qui lui demande : « J’ai perdu le Panthéon » avec un accent à vous fissurer l’âme. Paris et Pat sont deux mots qui vont très bien ensemble. Pat court, danse, boit du lait, descend une bouteille de Beaujolais, prépare le thé, veut se baigner dans la Seine, donne à manger aux pigeons, vole des fleurs, se déshabille ou prend un bain de soleil sur le toit.
Dans sa jupe courte dessinée par Louis Ferraud, elle est la promesse d’un été brûlant. Henri peut compter sur ses fidèles copains Gogaille (Michel de Ré) ou Civadusse (Daniel Ivernel) dans son opération de séduction. Il s’invente une autre vie pour briller à ses yeux. Il découvre, effaré et subjugué, que Pat n’est pas indifférente à cet anonyme dans la foule. Il se met à espérer et à gamberger. En août, on a tous les droits. « Il n’est pas trop tard pour avoir douze ans » comme le dit si bien Aznavour.
Paris au mois d’août, un film de Pierre Granier-Deferre d’après le roman de René Fallet – Coffret Pathé

ROLAND GARROS

L’érudit des lignes blanches Nicolas Grenier publie une anthologie littéraire du tennis en préparation de Roland Garros.


Dans quelques jours, l’écho du Court central résonnera jusqu’à la station « Porte d’Auteuil ». Une mélopée étrange à base de 15–0 ; 15–A ; 30–15 qui traîne dans l’atmosphère comme un rhume des foins tenace.  Au printemps, le tennis se lève à l’Ouest du périf’. Dans le métro, des parisiens hagards croiseront de juvéniles sparring-partners chargés de raquettes et de serviettes. Ils remarqueront surtout leurs baskets recouvertes de cette terre ocre, la poussière éphémère du Grand Chelem.

Cette quinzaine est la hantise des DRH

Les « petits » ramasseurs s’entraînent déjà dans leurs chambres d’adolescents devant leur miroir à plier les genoux et à relancer la balle comme s’ils devaient se présenter au concours du Conservatoire d’art dramatique. Ils sont la fierté du tournoi. Les accordeurs refont leur gamme, avec toujours, cette question existentielle : boyau naturel, multifilament, monofilament ou hybride, quelle matière choisir pour trouver la meilleure harmonie. C’est aussi le moment où le panama fleurit dans les tribunes et où les intrigants cherchent des places dans les loges. Cette quinzaine est la hantise des DRH et des CPE.

Quand le tennis était snob

Le chantre de l’olympisme Pierre de Coubertin prédisait en 1910 dans ses Notes sur le lawn-tennis un grand avenir à ce jeu de balles qui met les nerfs en pelote : « C’est un sport dont les adeptes sont non seulement devenus très nombreux mais n’appartiennent à aucune catégorie spéciale. Jeunes garçons et hommes âgés, femmes mariées et jeunes filles, gens oisifs et gens occupés, le lawn-tennis a fait des conquêtes dans tous les milieux sociaux et dans toutes les périodes de la vie. C’est une très heureuse circonstance ». Le Baron avait un demi-siècle d’avance sur son époque, il annonçait la démocratisation de ce sport et sa propagation dans toutes les couches sociales.
Au début du XXe siècle, la balle jaune n’avait pas atteint les masses payantes et les budgets publicité des sponsors. On la tapait entre sportsmen tout de blanc vêtus, sous l’œil de dames en capelines de soie qui sirotaient un Pimm’s tonic. L’entre-soi et une pointe de snobisme habillaient les joueurs et joueuses de tennis en polo ou en robes longues. Il n’était pas encore venu le temps des foules ahuries et des bobs bariolés. Pour saisir cet air des premiers instants, où le tennis se pratique entre gens bien nés et prend la forme d’un loisir à la mode, à la fois jeu d’adresse et de tactique à l’ombre des cyprès, il faut lire l’étonnante anthologie littéraire du tennis de Nicolas Grenier. Dans Jeu, set et match ! préfacé par Patrick Clastres aux éditions du Volcan, l’érudit des lignes blanches a recensé des textes majeurs et mineurs sur cette activité en plein air. Au-delà des « classiques », Maupassant, Alphonse Daudet, Paul Bourget, Georges Feydeau ou Tristan Bernard, ce recueil ressuscite des auteurs complément oubliés. De ces anonymes des bibliothèques, plumes vigoureuses à la Belle Époque, naît un charme désuet, le témoignage d’une insouciante élégance. C’est joliment ampoulé, un style sous naphtaline qui émeut par sa préciosité et ses maladresses. D’un esthétisme fabriqué non dénué d’une certaine langueur érotique.

Les aventures de l’abbé tennisman

Les balbutiements du tennis se mariaient alors admirablement avec les tâtonnements littéraires de ces écrivains en herbe. Qui se souvient d’Emile Pouvillon (1840-1906) à part ceux qui empruntent son avenue ? Il écrivit Le Vœu d’être chaste en 1900 où figure un abbé tennisman. « Pourquoi le tennis serait-il défendu pendant les vacances ? Le concile de Trente n’a pas d’objection, sans doute, contre le tennis » s’interroge une demoiselle faussement naïve. Et que penser de Pierre Ardouin (1870-1934) dans ses Poèmes de Saintonge à la mélancolie doucereuse :
Les fervents du Tennis, sveltes et point moroses
Dans des bas écossais cambrant leurs forts mollets,
Sur le sable élastique ont posé leurs gilets,
Et leurs corps dégagés prennent de fières poses.
Ou encore cet obscur René Turpin qui publia en 1908 La Fillette à la Raquette, évocation légère qui lui vaudrait aujourd’hui les foudres de certaines associations :
Elle n’ignore pas qu’on la regarde un peu
Quand, jouant au tennis, volent ses jupes blanches :
Pour montrer ses bras frais, elle lève ses manches
Fixant innocemment sur vous son regard bleu
Jeu, set et match, Nicolas Grenier, Editions du Volcan

Le cliché d’une autre France… moins métissée

Ce documentaire exceptionnel est la photographie d’une autre époque. Ce qui frappe, notamment, c’est l’absence de métissage du public en 1981. Les seules personnes de couleur que l’ont aperçoit du côté de la porte d’Auteuil sont les joueurs, Yannick Noah et Arthur Ashe en l’occurrence. Il y a bien deux ou trois Maghrébins, mais ils sont chargés de l’entretien des courts. Un parfum d’insouciance et d’amateurisme bon enfant règne dans l’organisation, mais fait froid dans le dos par moment. Quatre ans avant le drame du Heysel, la foule est compressée contre les grilles à l’entrée du stade.
Le début des années 80, c’est l’âge d’or du tennis dans l’Hexagone. Pas de service d’ordre ou presque. La balle de match à peine terminée, il n’est pas rare de voir de nombreux spectateurs bondir sur les courts et se précipiter vers les champions pour quérir un autographe ou un bandeau. Même les journalistes (Jean-Michel Leulliot, Hervé Duthu) mettent littéralement le grappin sur les joueurs. 1981, c’est aussi l’âge des Stan Smith, des survêts moule-bite pour les garçons et des petits shorts fluos pour les filles. Mais c’est surtout les raquettes en bois surannées et la fameuse Donnay de Borg. Le play-boy latino à la boucle d’oreille, Victor Pecci, confie pourtant avoir chuté au classement l’année précédente quand il a voulu s’essayer aux nouvelles raquettes en métal.
Le réalisateur entremêle astucieusement tranches de vie et balles échangées, victoires et défaites, champions et spectateurs. On navigue entre les courts qui sont les seuls à ne pas avoir changé, les gradins bondés de gens en bob, les vestiaires avec des télés en noir et blanc pour suivre les matchs, les arbitres en costume de contrôleur de la SNCF, les DS qui transportent les joueurs, les cabines téléphoniques, sans oublier les machines à écrire des journalistes. Bref, on regarde ce documentaire comme on écoute certains tubes du top 50 ou comme on revoit certains films de Belmondo. Avec nostalgie.


 

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