TENNIS : YANNICK NOAH DES ANNÉES 80 ET OUI, JE GLANDE ! - TH. MORALES

Je vais vous raconter une histoire rurale, terrienne en diable. Elle se passe au milieu des années 1980, non loin du pays de George Sand, dans une province en voie d’abandon. La désertification était son nom. Les étés caniculaires n’en finissaient pas d’étouffer la campagne berrichonne. Les défilés de moissonneuses-batteuses étaient la seule attraction du mois de juillet pour les enfants du village. Les comices agricoles avaient lieu tous les sept ans. En ce temps-là, les reines de beauté se faisaient autant désirer et languir que les occupants de l’Elysée. Le premier cinéma se trouvait à trente kilomètres et diffusait « Parole de flic » de José Pinheiro avec Alain Delon. La piscine était un luxe réservé aux gamins des villes. La fracture territoriale était en marche et la décentralisation n’y changerait rien. La lecture était probablement le dernier refuge pour tous ces jeunes déclassés géographiques. Et dire qu’il faudrait attendre sa majorité pour passer son permis de conduire et échapper à cet ennui congénital. Nos rêves d’évasion ont donc commencé-là, dans la torpeur des vacances scolaires, décidément trop longues. Il y avait bien sûr la pêche, le vélo et le flirt pour survivre à cet enfer cantonal mais un endroit semblait aimanter les 10-16 ans. Un court de tennis en plein cagnard, au milieu de nulle part, un de ces « Quick » inaltérables et meurtriers pour les articulations. Dans mille ans, les archéologues en trouveront encore la trace et parleront, peut-être, de l’ère quickenaire, symbole de la société des loisirs et du règne de la petite balle jaune. Ce court était devenu LE lieu de rendez-vous. On se chamaillait pour pouvoir y jouer. Les réservations faisaient l’objet de palabres interminables. Le tennis était entré dans notre vie pour quelques années au moins.

Inoubliable 1983

Cet engouement, on le doit sincèrement à un seul homme : Yannick Noah. Deux ans auparavant en 1983, il a gagné Roland-Garros. On l’a tous vu dans notre téléviseur. Il était grand, athlétique, spectaculaire et possédé ce jour-là face à un Wilander dépassé. Nous avons pleuré avec lui. Le lendemain de cette victoire historique, on se promenait tous avec un polo « Le Coq sportif » et on faisait semblant de glisser comme notre héros sur le béton. Au Noël suivant, nous avons eu droit à sa raquette, la légendaire « Concept 3 oversize » avec sa signature sur l’épaule. Avant lui, nos parents avaient bien supporté Guillermo Vilas et Vitas Gerulaitis, Borg et McEnroe allaient propulser le tennis au firmament. Les équipementiers jouaient déjà des coudes dans les vestiaires. La bataille commerciale serait impitoyable comme dans Dallas. Les télés s’écharperaient bientôt sur la retransmission des tournois. Pour nous, le Central de la Porte d’Auteuil serait dorénavant l’acmé du mois de juin. Nos éreintantes révisions auront longtemps un parfum de Roland. En France, cette révolution fut largement enclenchée par les exploits de Yannick. Un seul homme providentiel peut faire bouger la pratique de tout un sport. Alors, à bientôt 60 ans en mai prochain, nous gardons pour notre champion si souvent chahuté par les réseaux sociaux, un immense respect. Quand il parle « tennis », on l’écoute sagement. C’est la moindre des choses. J’entends encore la voix de Denis Lalanne surnommé le « Dabe », la grande plume de L’Équipe disparue en fin d’année dernière, nous raconter le Wimbledon des années 1960 et évoquer ému des dizaines de souvenirs autour du « gamin ». Denis avait vu le phénomène Yannick exploser. Il avait couvé son ascension d’une attention quasi-paternelle. Donc, ce week-end, il faut absolument lire l'interview que Noah a accordée à nos confrères de Tennis Magazine dans leur numéro de mars (qui vient juste de sortir dans les kiosques). Yannick ne mâche pas ses mots. Il dresse un bilan de sa carrière et de l’évolution de son sport au cours des trente dernières années. Ses phrases visent juste. Il évoque les sujets qui fâchent, le regret de ne pas voir un successeur français soulever la Coupe des Mousquetaires, l’accompagnement psychologique défaillant des jeunes champions, les ressorts de la gagne, l’argent, l’abandon de la terre battue au profit des surfaces dures, la monotonie des matchs, la façon de s’entraîner, l’absence de grands commentateurs sportifs à l’image d’un Thierry Roland, d’un Roger Couderc ou d’un Georges Eddy ou l’érosion lente du nombre de licenciés

 

OUI, JE GLANDE 

 

Très tôt, j’ai pressenti les ravages du travail sur ma santé mentale. C’est pourquoi, j’ai tout fait pour m’en éloigner. Plus la société m’incitait à gesticuler, moins j’avais le goût de participer à cette mascarade. J’ai dû user de subterfuges pour échapper à mon triste sort et aux vertus de l’engagement, socle de notre République laborieuse durant les années 1980/1990. Et il en fallait de la persévérance et de l’imagination pour combattre au quotidien tous ces grignoteurs de temps libre. Nous étions cernés. Partout, à la télé, dans les journaux, à l’école ou à l’usine, ces empêcheurs de vivre n’avaient qu’un mot à la bouche : l’effort ! Très tôt donc, dès l’adolescence, j’ai intégré le principe de précaution quand celui-ci n’était pas vanté par les hommes politiques. J’étais en avance sur mon époque sans le savoir.

Morales naturellement porté sur la sieste

Désœuvrés, apathiques, indolents et parfaitement conscients de nos actes, nous l’étions, mes camarades et moi. Nous passions des étés à végéter aux terrasses des cafés sans consommer, se levant de nos chaises seulement dans les cas extrêmes pour engager une partie de baby-foot. Le vendredi soir, un juke-box fatigué diffusait Hotel California en boucle, sorte de préambule avant de partir en boîte de nuit à une vingtaine de kilomètres, là aussi, dans une forme de lassitude joyeuse. Nous nous déplacions nonchalamment sans attendre d’événements particuliers.

Nous laissions couler le filet de notre existence avec sagesse et indifférence. Je repense avec bonheur à nos errances campagnardes. Je nous revois, blottis dans une Renault 5 Automatique à toit en vinyle noir, bercés par l’autoradio et les standards de Julio Iglesias. Pauvres diables, nous n’avons pas changé. Nos parents trouvaient que nous manquions d’entrain et que nous donnions un exemple déplorable aux autres gamins du pays. Ils n’avaient pas compris que nous ne singions personne, ni ne provoquions le système, nous étions naturellement portés vers la sieste et le détachement. Bien plus tard, j’ai découvert chez les personnages égyptiens du romancier Albert Cossery, un cousinage avec nos mœurs berrichonnes.

La paresse, un comportement mal vu

Voilà comment nous avons dépensé notre maigre énergie et notre courte jeunesse, en glandant et en commentant, à la fainéante, les rares passants qui traversaient notre place, à vrai dire, déserte en juillet et en août. Seules quelques touristes hollandaises égarées suscitaient notre intérêt nous réveillant de notre torpeur caniculaire par des commentaires désobligeants. Le mauvais esprit n’était pas encore condamnable à ce moment-là de notre histoire. Nous étions déjà moralement suspects dans une décennie animée par des winners et des stakhanovistes de l’emploi à plein temps. La patronne de notre bar d’élection, plus entomologiste que débitrice de boissons, nous acceptait comme des parasites ruraux, elle étudiait notre comportement sans nous juger. Admirable femme. Nous formions une bande campagnarde d’un genre très ancien, nous pratiquions la paresse en groupe. La communauté annihilait notre volonté de bouger, de discuter et donc de nous engueuler.
Nous vivions comme certaines tribus sauvages dans l’harmonie et la paix civile. Ce qui paraissait encore plus improbable dans notre comportement déviant, c’est que même la présence de filles ne modifiait pas nos habitudes. Irrécupérables, nous vivions dans la contemplation. Et cette léthargie volontaire pouvait durer les deux mois de vacances. A cet âge, j’aurais été ravi de lire Le goût de la paresse qui vient juste de sortir au Mercure de France, très joliment et malicieusement présenté par Jacques Barozzi, spécialiste du sujet. « Travaillant juste ce qu’il faut pour gagner, aujourd’hui comme hier, rien de plus que… mon argent de poche ! C’est dire que la paresse, je sais ce que c’est. J’en connais la valeur et j’en connais le prix à payer ! » nous prévient-il, dès son introduction. Nous sommes en famille. Il ajoute même : « L’oisiveté semble avoir de plus en plus mauvaise presse. Raison pour laquelle il me paraît urgent d’aller voir ce qui se cache sous cette notion tant décriée ».

Conformément au concept de cette collection de poche, très instructive et maligne, l’auteur dessine, à travers de nombreux extraits de Théophile Gautier à Françoise Sagan, trois thèmes : les vertus de la paresse, les portraits de grands paresseux et les petits plaisirs de la paresse. On aime l’entrée en matière de l’écrivain britannique Jerome K. Jerome : « La paresse a toujours été mon point fort. Je n’en tire aucune gloire, c’est un don ». On suit le conseil de Robert Louis Stevenson : « Les livres sont certes utiles, à leur manière, mais ils sont un substitut bien insipide de la vie ».
Et l’on tend l’oreille à la proposition de Bertrand Russell : « Je veux dire qu’en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu’il devrait disposer du reste de son temps comme bon lui semble ». Les prochains candidats à la Présidentielle seraient bien inspirés de lire ce merveilleux guide politique.



 

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