TIENS, REVOILA DU BOUDARD et AU THEATRE CE SOIR AVEC PASCAL PRAUD par TH. MORALES

A l’ère de MeToo, les cabrioles machistes d’Alphonse Boudard (1925-2000) et son écriture érogène semblent émerger d’un autre temps. Pourtant, la collection La Petite vermillon réédite deux de ses oeuvres : La Cerise (Prix Sainte-Beuve 1963) et Le Café du pauvre (1983).


Alphonse, un sous-Céline, un amuseur de garnison, un libidineux fanfaron, un populo au Renaudot, un argotique chez Plon, en somme, l’écrivain de seconde zone pour banquets de province et comices agricoles. Gaudriole et cambriolage. Fesse et zonzon. Dans les années 60/70, on se bouchait le nez dans les cocktails littéraires en le voyant invité d’honneur.
Les faisans à rosettes lui trouvaient tout de même un côté folklorique, carnavalesque pour les plus précieux d’entre eux, un joli talent de faiseur, de raconteur au mieux, pas de quoi non plus le classer dans la grande littérature boursouflée de suffisance, reliée cuir et or. On l’avait déjà accueilli à la table des auteurs alors que les gus dans son genre, ex-taulard et ex-tubard, restent d’habitude à l’office avec les domestiques. J’ai entendu plus d’une fois ces attaques sous la ceinture. Il y avait dans ces jugements un mépris de classe, un aveuglement universitaire et toute la bêtise consanguine qui caractérisent les intellos du stylo, incapables de reconnaître le souffle du désespoir et tout aussi hermétiques à la musique des fortifs. Ces frustrés du mot plein et de la phrase picaresque sont passés à côté d’un auteur majeur du XXème siècle. Tous n’ont pas fait cette erreur de casting.

Alphonse (1925-2000) a été fort heureusement, dès le début de sa carrière, adoubé par une partie du métier. Michel Tournier est le premier à repérer l’animal. La Cerise (Prix Sainte-Beuve 1963) et Le Café du pauvre (1983) reparaissent cet automne dans la collection de La petite vermillon. Pour ceux qui auraient raté la station Boudard, il est urgent de se procurer ces deux livres, et puis ensuite de s’enfiler toute l’œuvre du plus célèbre enfant naturel du XIIIème arrondissement, le croisement marlou entre François Villon et la Ferdine toujours guidé par l’attraction sexuelle de Viviane Romance. Vous serez charmé par cette mélodie de la mouise, la scoumoune comme ligne de vie, les prouesses au plumard, l’Occupation vue à hauteur d’homme et des inconvénients de fréquenter les mauvais garçons à la nuit tombée dans un après-guerre déshonorant pour les vrais héros.
Boudard, prodigieux historien de la Libération de Paris (Les Combattants du petit bonheur, Prix Renaudot 1977) n’est pas l’observateur à bonne distance, l’exégète des combats qui refait le match dans un appartement bourgeois, le cul dans son chesterfield. Alphonse a été au charbon, d’abord dans la Colonne Fabien chez les cocos, puis dans la 1ère Armée de De Lattre où il s’est illustré à la Bataille de Colmar. Croix de Guerre avec Etoile d’Argent au revers du treillis, ça pose son bonhomme. Les révolutionnaires à papa de 68 dans leur douillet duffle-coat peuvent remballer leur quincaille idéologique. Après, il eut bien sûr, l’enchevêtrement sordide, les coups foireux, la maladie, l’hôpital, la fatalitas de Chéri-Bibi.  « Ainsi s’écoulait ma jeunesse…à rêver de filles et de victuailles » écrivait-il, jamais geignard, d’une lucidité parfois terrifiante sur son sort. Ecoutez-le nous parler de la prison : « c’est un paquebot mort qui sent la pissotière », « Quelque chose d’invraisemblable pour les olfactifs délicats », « La liberté est à vingt mètres. Elle se marre, la garce, avec ses belles mômes, ses autos étincelantes, son bon purin dans nos campagnes et ses dix mille piafs gazouilleurs ». A l’ère de MeToo, les cabrioles machistes d’Alphonse et son écriture érogène semblent émerger d’un autre temps. Selon le Petit Simonin illustré par l’exemple, le café du pauvre se définit comme « les ébats amoureux suivant immédiatement le déjeuner ».

Dans son roman, Alphonse doit subir les assauts de Lulu, la femme du charcutier, les questionnements d’Odette la catholique, de Jacqueline, la militante trotskiste, de Flora, la comédienne ou encore de Cricri, la pute. Alphonse, le supposé soudard savait fendre l’armure : « On est tout de même arrivé à se dire des jolis mots d’amour tout en se cajolant l’épiderme. On s’est offert le café du pauvre dans la richesse des expressions sentimentales. J’ai le souvenir de la petite lampe au plafond de la chambre avec son abat-jour de porcelaine blanche. Ça nous éclairait lugubre, mais on se voyait autrement avec le cœur, les convictions… l’impression tout à coup de vivre des heures inoubliables ».
La Cerise/Le Café du pauvre d’Alphonse Boudard – La Table Ronde (La petite vermillon)

Sous vos applaudissements, l’Heure des Pros amuse, divertit, agace et informe


Autrefois, on disait entre initiés, hier soir, je suis allé au Français avec la mine gourmande.  Quelle mise en scène, mes amis ! Et le jeu des acteurs, le respect du texte sans un classicisme trop corseté, la liberté dans la contrainte, l’essence même du théâtre, Molière et Racine veillaient au grain en ce temps-là, l’esprit pétillait à tous les actes, les vers coulaient sans une fausse note, la jeune première avait l’innocence d’une rosée de printemps, la vieille douairière était tordante de rire, les barbons s’enferraient dans leurs certitudes, les servantes montraient juste ce qu’il fallait de leur gorge satinée pour réveiller les spectateurs endormis du premier rang, même les hallebardiers n’avaient pas l’air de s’ennuyer. Le public parisien pouvait encore s’enorgueillir d’avoir accès à cette qualité immémoriale, par nature indémodable, alors que Londres la baroque, se vautrait dans le théâtre expérimental. Ne parlons pas de New-York qui a toujours psychologisé les planches, Freud y avait hérité d’une chaire de diction. Dans les Académies de comédie, les élèves ânonnaient, se croyant possédés par leur art oratoire. Les pauvres enfants, ils confondaient engagement et servitudes du métier. Même dans les séries Z, on jouait avec plus de sincérité et d’intensité. À Paris, jadis, Jouvet tançait les falsificateurs et les têtes boursouflées qui encombrent les cours du soir. Il gardait le cap de notre identité tatillonne et perfide.

Deux représentations par jour


Maintenant que les théâtres sont fermés depuis quatre semaines, les amateurs de « beau jeu » se rabattent, deux fois par jour, devant L’Heure des Pros sur CNews. La direction de la chaîne penserait même ouvrir la billetterie en matinée pour une troisième représentation. L’intérêt de cette émission tient à son maître de cérémonie, Pascal Praud, tantôt patelin, tantôt rieur ; ne supportant pas le temps mort, ayant à la fois la vis comica féroce et la faconde du bon bourgeois de province. Quelle plasticité ! Il feint l’ignorance pour mieux contrer ses adversaires, méfiez-vous, quand il retient ses coups dans un premier élan, la contre-attaque est ravageuse. On se régale de son numéro de duettiste à lui seul. Il est, tour à tour, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, ou pour ceux qui s’en souviennent, Philippe Noiret et Jean-Pierre Darras. Il alterne les rôles, s’adapte à la situation, ses interviews ne sont jamais statiques, il peut dans une même question, être vache ou tendre la patte, provoquer ou flirter, en dernier ressort, c’est lui qui demeure le métronome des débats. Un animateur lettré, ça fait quand même toute la différence à la télé.

À l’évidence, on se marre dans ce drôle d’espace, à mi-chemin du zinc et du forum romain, quand le sérieux du propos n’est pas totalement dénué de second degré. Contrairement à la plupart de ses confrères, Praud est un grand lecteur, il a lu Guitry et Léautaud, Blondin et Malaparte, il aime Hidalgo (Michel) et Lino (Ventura), il est ému comme un gosse face au commandeur Delon et le cinéma de Philippe de Broca l’emplit de joie. Un homme qui vénère ces films-là, à la nostalgie entêtante, épidermique à l’évidence, aura toujours mon estime. 

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