Causeur a décidé de gâter ses lecteurs en leur offrant un conte de Noël signé Thomas Morales (1/2).
Papa Poule vient de se terminer sur une image filandreuse tirant sur le gris perlé comme dans un brouillard londonien. Depuis l’élection de François Mitterrand, notre téléviseur Grundig a pris le pouvoir sur les réalisateurs de la Une. Il a tendance à mélancoliser ce feuilleton en forçant sur les teintes hivernales et à brouiller les infos quand le présentateur ose parler de l’opposition gouvernementale. Selon ma grand-mère, il couperait volontairement la parole à VGE et à Raymond Barre dans un honteux déni de démocratie.
Le Général avait ouvert la porte aux communistes
Elle en appelle à la mémoire du Général qui avait jadis ouvert la porte aux communistes, bien mal lui en a pris, avec ces gens-là, la trahison est inscrite dans leurs gènes. Ils ne sont pas convenables, répète-t-elle à ses amies du presbytère. Ils ont le vice de l’égalitarisme dans la peau, ajoute-t-elle pour celles qui seraient sourdes ou socialisantes. Elle soupçonne notre poste de télé d’être un agent infiltré du KGB à l’intérieur de notre foyer berrichon. Les soviétiques auraient installé des mouchards dans tous les appareils de la région afin de surveiller les classes occidentales bourgeoises.Sa théorie a déjà convaincu notre voisin, notaire et vieux garçon, ce qui alourdit en soi son existence taciturne. Pas étonnant selon elle, le vendeur d’électro-ménager du village ne lui a jamais semblé digne de confiance. Sa fille n’a pas fait sa communion solennelle et son gendre est instituteur en banlieue rouge. C’est dire s’il est suspect à ses yeux. Il a l’œil maussade de Georges Marchais, cette trogne vindicative à toujours vouloir fouiller son nez dans le porte-monnaie des autres. Désormais, lorsqu’elle passe devant l’appareil maudit, elle chuchote de peur d’être soupçonnée de déviance idéologique. Les chars rouges et le programme commun lui ont coupé l’appétit en mai dernier. Les indirects l’achèveront au tournant de la rigueur, deux ans plus tard.
’accepte mon atavisme vestimentaire avec flegme et une pointe de prétention. Mon snobisme se nourrit d’une enfance provinciale, loin des boutiques de luxe et des artères illuminées.
L’ennui du Berry
Dehors, le cèdre givré secoue ses branches afin qu’on n’oublie pas sa présence séculaire. Comment l’occulter, il mesure vingt mètres. Il floconne mollement sur le parc, par intermittence. Dans cette indécision qui sera la marque de fabrique des années à venir, je rêvasse en échafaudant déjà des théories fumeuses. Toute ma vie, j’aurais été la proie des mirages indolents.La campagne berrichonne respire un ennui souverain. En ce temps-là, les journées s’étiraient à l’infini, nous vivions dans une distorsion perpétuelle, les Bogdanov présentaient Temps X et notre quotidien n’avait pas plus de réalité tangible. Les années s’empilaient sans meurtrir nos corps. Notre insouciance héritée des Trente Glorieuses nous immunisait, pour l’heure, sur les fléaux qui toquaient à notre porte. Ils allaient tomber en cascade dans la décennie. Les présidences duraient alors sept ans. Le dimanche, nous mangions des bouchées à la reine.
L’espace de quatre ou cinq heures, nous nous retrouvions avec un bonheur non feint. Nous perpétuons les fastes d’antan par esprit de tradition et aussi par respectueuses affections pour nos ancêtres. Avant que tout ne s’accélère vers 21 heures, que mes parents m’échappent, que le brouhaha s’installe dans toutes les pièces, j’entendais le déclic iodé, l’appel du large. Il se produisait toujours de la même façon. Mon père montait les bourriches d’huîtres de la cave. Sur la table de noyer, des centaines de creuses, de belons et de fines de claires attendaient leur ouverture. Impatientes et angoissées.
Décapsuler les huîtres
Chaque année, mon père pestait devant cette tâche. Réussirait-il à toutes les décapsuler à temps ? Cette opération m’hypnotisait littéralement. Je le regardais avec l’espoir qu’il réussisse cette impossible mission. Sans jamais faiblir, il arrivait à ses fins pour que le Berry terrien prenne des accents finistériens. Quarante ans plus tard, muni de mon couteau à huître, je vacille à l’attaque de ma première Numéro 3, je sens le poids des années, les effluves de l’enfance me mouillent les yeux. Et je ne peux retenir les larmes du passé.Fin
Plus mobile que votre smartphone, moins démodée que vos tongs, la carte postale fait de la résistance: avouez-le, c’est le meilleur moment de vos vacances…
Les scientifiques s’interrogent toujours sur ce mystère géologique. On a perdu la trace des dinosaures, des gaullistes de gauche et des chevènementistes. Et les échanges épistolaires n’ont plus le charme d’antan. Le tweet et le like ont supplanté la carte postale. Écrire est aussi anachronique que conduire une hippomobile ou couper son vin à l’eau de Seltz. Le « digital » a enterré le stylo et la feuille blanche, il s’attaque à l’orthographe et à la syntaxe, et dans un dernier coup de reins salvateur, il rayera d’un trait la civilisation de l’écrit. Quelle merveille, notre littérature si empesée, tatillonne et intrusive n’y résistera pas.
ette carte postale paraissait si frêle face aux smartphones de dernière génération et leurs options démiurgiques. Elle se sentait un peu bête dans ses tourniquets colorés. Une potiche des bars-tabacs. Une nostalgie surnuméraire. Plus personne ne jetait un regard sur elle. Même pas un clin d’œil sur le port de Sète, le pont du Gard, la cité d’Aigues-Mortes ou le barrage de Serre-Ponçon. Notre géographie se fait la malle après la disparition des plaques minéralogiques au cul des voitures et avant la fin officielle des départements. Nos sous-préfectures avaient pourtant de l’allure au format 148 x 105 mm. Combien d’humbles villes s’enorgueillissaient de posséder une collection de cartes dentelées et de vues aériennes. Dans les greniers des maisons de famille, elles s’entassent par centaines, témoignages fugaces d’une ville de garnison, de cure ou d’un amour défendu.
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