LA RETIRADA, UNE HISTOIRE FRANCO-ESPAGNOLE et PARIS COMME VOUS NE L'AVEZ JAMAIS VU par TH. MORALES

Dans le grand concert victimaire qui agite régulièrement la France, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Certaines périodes de notre histoire récente semblent être mystérieusement passées à la trappe. Les manuels ne s’attardent pas tellement sur les 500 000 réfugiés espagnols qui fuirent une Catalogne défigurée par la mitraille fasciste. Cet exil massif vers les Pyrénées-Orientales (Retirada en espagnol) à l’hiver 1938-39, la brèche ouverte entre Cerbère et Bourg-Madame ou encore le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer, selon la définition même d’Albert Sarraut, ministre de l’intérieur du gouvernement Daladier, laissent un drôle de goût en bouche.
On a fait peu de cas de cette bande de métèques, anarcho-syndicalistes, rouges, bouffeurs de curé, libertaires en puissance. Déjà bien heureux d’accueillir ces étrangers dans la patrie des droits de l’Homme, quitte à les parquer comme des animaux et à les laisser mourir du typhus. Ceux qui ont fermé les yeux sur la Terreur franquiste sont coupables d’avoir laissé la situation s’aggraver, la guerre d’Espagne fut le préambule funeste au second conflit mondial. Qui évoque aujourd’hui la mémoire de ces républicains espagnols qui eurent le triste privilège d’être parmi les premiers déportés vers les camps de concentration nazis ? Qui se souvient que le grand poète Antonio Machado est mort à Collioure ? Quelques plaques commémoratives par-ci, par-là, guère plus.
Leur histoire n’intéresse personne comme celle des combattants de la Nueve, les fidèles de Dronne et Leclerc qui libérèrent Paris au son de Guadalajara, Ebro, Belchite, Guernica ou Madrid. Et pourtant, il suffit de lire les listes électorales du Languedoc-Roussillon pour comprendre que les enfants et petits-enfants de ces hommes-là peuplent le Midi de la France et bien au-delà. Eduard Torrents et Denis Lapière s’emparent de cette séquence oubliée ou méconnue dans une bande dessinée intitulée Le Convoi (en deux parties).
La première vient de sortir chez Dupuis. Le scénario de Lapière est bien ficelé, malin, à rebondissements, il s’inspire de l’histoire familiale du dessinateur Torrents. On appréciera son trait joliment nostalgique ainsi que les couleurs de Marie Froidebise parfaitement adaptées à l’atmosphère de ces années-là. Le point de départ de cette aventure démarre à Montpellier en 1975. Angelita, une brune piquante à l’accent espagnol s’ennuie dans sa vie, elle est mariée à un professeur de lettres et roule en Dyane. Un coup de fil l’oblige à partir précipitamment pour Barcelone où sa mère vient d’être opérée. Que fait-elle là-bas ? Elle, qui avait pourtant juré de ne jamais remettre les pieds en Espagne tant que Franco ne serait pas mort. Angelita se retrouve donc dans le train avec son beau-père et pour la première fois, elle va lui raconter ces mois passés dans un camp du sud de la France. Elle avait huit ans, sa mère lui répétait que «  les salauds (Mussolini et Franco) s’entraident » et le visage de son père était déjà marqué par une colère rentrée. Cette bande dessinée très bien documentée, s’attache aux faits historiques, sans manichéisme, sans discours larmoyant, elle raconte simplement la douleur de quitter sa terre natale et d’y perdre une partie de son âme. Cet arrachement-là est universel. On a surtout très envie de connaître la suite. La mère d’Angelita a certainement d’autres secrets à nous révéler. Ces fiers espagnols qui ont vécu la Retirada ne demandaient rien. Ils n’étaient pas du genre pleurnichard, à courir derrière une reconnaissance dérisoire, ils avaient gardé le caractère insoumis des hommes qui ont beaucoup cru et qui ont beaucoup perdu. Cette bande dessinée a le mérite de faire revivre leur extraordinaire épopée. Et puis nous avons tous dans le cœur, une belle brune qui vient de Murcia, Granada o Cádiz.

paris / Apéro, tiercé, belote 

Cette escapade fugace dans le temps nous rappelle combien notre pays traçait sa route, indifférent aux modes et aux chantages. Jadis, on venait à Paris pour effleurer cette légèreté-là, s’imprégner de cet air si particulier, instable en diable, se laisser porter par les élans du cœur. Le roman de René Fallet raconte un amour d’été, entre Henri Plantin, vendeur au rayon pêche de la Samar et Patricia Seagrave, cover-girl anglaise, Pat pour les intimes. De ces emballements que l’on conserve pieusement durant toute une vie. Il n’y avait qu’à Paris que la morale se foutait des classes sociales et des convenances. Avant l’arrivée de Pat dans son existence mécanique, Henri jonglait entre l’apéro, le tiercé, la belote, la pêche à la ligne et sa petite famille unie. Seule l’ombre de la mère Pampine, cette concierge délatrice à l’ancienne, noircissait le tableau d’un ménage solide. Et puis, l’épouse et les enfants sont partis à Concarneau en vacances. Henri erre dans un Paris de cartes postales. Les Champs-Elysées sont déserts. Les Tuileries somnolent. Les Quais se dorent la pilule. Seuls les abords du tombeau de l’Empereur enregistrent un volume sonore comparable à la Place de la Concorde, un soir d’hiver, à la sortie des bureaux. Cet homme marié, en quête d’aucune aventure, tombe sur Pat. Comment résister à cette blondeur assassine qui lui demande : « J’ai perdu le Panthéon » avec un accent à vous fissurer l’âme. Paris et Pat sont deux mots qui vont très bien ensemble. Pat court, danse, boit du lait, descend une bouteille de Beaujolais, prépare le thé, veut se baigner dans la Seine, donne à manger aux pigeons, vole des fleurs, se déshabille ou prend un bain de soleil sur le toit.
Dans sa jupe courte dessinée par Louis Ferraud, elle est la promesse d’un été brûlant. Henri peut compter sur ses fidèles copains Gogaille (Michel de Ré) ou Civadusse (Daniel Ivernel) dans son opération de séduction. Il s’invente une autre vie pour briller à ses yeux. Il découvre, effaré et subjugué, que Pat n’est pas indifférente à cet anonyme dans la foule. Il se met à espérer et à gamberger. En août, on a tous les droits. « Il n’est pas trop tard pour avoir douze ans » comme le dit si bien Aznavour.



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