L'OCCIDENT MORT DE PEUR de JEROME BLANCHET-GRAVEL ET YVETTE HORNER, COMME UN AIR POPULAIRE de TH. MORALES

Déni de la mort: après le déclin, la fin de l’Occident?


La crise du Covid-19 n’aura pas seulement fait ressurgir les frontières dans une civilisation où elles étaient souvent présentées somme le dernier vestige de la xénophobie. C’est notre rapport conflictuel à la mort qui est remonté à la surface qui doit être vu ailleurs dans le monde comme le principal signe de notre déroute ! Jamais les Occidentaux n’avaient manifesté une crainte aussi intensément révélatrice de leur mal-être collectif. 
Les esprits religieux n’ont pas manqué de voir une faillite spirituelle dans notre hantise diffusée sur tous les écrans du monde. Et si certains d’entre eux avaient raison cette fois?
Tout d’un coup, la plus riche et puissante civilisation de la planète est apparue fragile, chétive, traumatisée par une réalité pourtant inhérente à la vie. Le roi de l’univers s’est présenté nu comme un ver au balcon doré de sa désillusion. 

Mesures quasi-maladives

Le malaise a notamment pris la forme de mesures de confinement presque maladives, quoique nécessaires dans la perspective individualiste et à court terme qui est la nôtre.
Comme l’a soulevé le philosophe Robert Redeker, l’Homo occidentalis aura choisi le suicide économique au lieu d’affronter la réalité de sa finitude. «La mise entre parenthèses de la liberté et les destructions imposées à l’économie signent la pathologie de ce retour du refoulé», écrivait-il dans Marianne le 21 avril dernier. 
Une civilisation abritant des nations aussi troublées est inapte à faire la guerre et à traverser des crises plus importantes
Nous vivons dans des sociétés privées de leur vitalité. À quoi bon blâmer nos dirigeants pour des phénomènes qu’ils ont encouragés mais dont ils ont perdu le contrôle? Nos sociétés sont atomisées et désenchantées: ce sont les mêmes que Michel Houellebecq a dépeintes. Nous vivons dans des sociétés rongées par l’anxiété et la dépression, où des millions de gens se droguent légalement pour survivre. Nos pays sont divisés par des intérêts syndicaux, professionnels et de classe que nous pensions avoir réussi à harmoniser. N’en déplaise à la gauche identitaire: les inégalités sont encore économiques avant d’être culturelles ou raciales. 

Crise spirituelle, crise civilisationnelle 

Ce grand vide spirituel s’est manifesté de manière assez brutale au Québec. Lorsque la crise a débuté, le Québec a eu l’impression de retrouver son sens de la collectivité, mais le corporatisme et la désertion de milliers de travailleurs de la santé ont vite eu raison de cette euphorie du début. Le Premier ministre québécois, François Legault, a dû plusieurs fois supplier le corps hospitalier de participer à «l’effort de guerre» dans les résidences pour personnes âgées, toujours gravement touchées par le virus. Comme d’autres, les Québécois ont découvert l’état lamentable de leur système d’hébergement des vieillards. À travers les vieux, c’est leur propre fin qu’ils entrevoyaient mais qu’ils ne voulaient plus voir. 


Une civilisation abritant des nations aussi troublées est inapte à faire la guerre et à traverser des crises plus importantes, ce dont sont plus que jamais conscients les empires de l’Est à commencer par la Chine. D’abord une crise sanitaire, le Covid-19 aura surtout été une crise civilisationnelle à l’Ouest du globe. Depuis déjà plusieurs années, les nations occidentales refusent de sacrifier des hommes dans les conflits armés: chaque mort est vue comme une tragédie à ne jamais répéter. C’est le règne des opérations télécommandées et des drones. 
La créativité et l’innovation sont hélas loin d’être garantes de la survie des empires qui restent par définition mortels. De rappeler que les sociétés modernes ne savent plus stimuler le sens du devoir est un truisme: seule prévaut la logique des droits et son double, l’individualisme sacré. Combien de personnes la Chine est-elle prête à lâcher sur ses 1.4 milliard d’âmes pour devenir le maître du monde? Quels pays occidentaux seraient prêts à instaurer ou réinstaurer le service militaire obligatoire?

Toujours des droits, jamais des devoirs

 

Il faut lire le général chinois à la retraite Qiao Lang pour comprendre notre propre déroute et la manière dont elle est interprétée par Pékin. Dans un entretien récent accordé à la revue chinoise Bauhinia et traduit en français par Conflits, Lang explique que l’élévation du niveau de vie est en train de se retourner contre l’Occident (contre les États-Unis surtout) à travers la désindustrialisation et la délocalisation. Les Occidentaux voudraient continuer à dominer les autres tout en leur déléguant les tâches qu’ils ne veulent plus faire. À quoi bon concevoir de la haute technologie si vous ne voulez plus la produire? À quoi bon avoir une armée puissante et la bombe nucléaire si votre pays est peuplé de pacifistes? 
Au Québec, où les Chinois possèdent d’ailleurs de nombreuses terres agricoles, un mouvement en faveur de l’agriculture locale a été lancé pour revenir à la souveraineté alimentaire alors que la chaîne d’approvisionnement pourrait être rompue. Le hic, c’est que les producteurs ne parviennent plus à embaucher des Québécois acceptant de travailler au champ dans des conditions difficiles. Des centaines de migrants viennent donc chaque année cueillir les fruits et légumes produits localement. Comme quoi les beaux discours patriotiques et écologistes ne suffiront pas à éviter le naufrage. 

Yvette Horner. Son simple nom fait résonner un son d’accordéon. La musicienne populaire est décédée, hier, à l’âge de 95 ans. Elle incarnait la joie, la simplicité, cette France qui n’a pas honte d’être d’en bas


 

Les flonflons du Tour

Alors ce matin, en entendant à la radio, la disparition d’Yvette Horner, à l’âge de 95 ans, on se dit qu’une certaine époque s’envole définitivement. Des flonflons à la française chers à Souchon ou de ces longues tournées inhumaines. Épopée picaresque que ces Tour de France des années 1950, ces millions de kilomètres avalés sous la chaleur de l’été, le corps d’Yvette émergeant d’une Citroën Traction, inusable amazone et merveilleuse musicienne, buste imperturbable qui joue jusqu’à se faire saigner les doigts. Dur au mal, elle l’était, d’un professionnalisme héroïque aussi, assurant sa prestation jusqu’à la fin de l’étape, le visage en sueur et les membres endoloris. Un effort physique considérable, le dos souvent en compote, une prouesse technique incroyable, un spectacle ahurissant de folklore et de tendresse qui enchantait la route des vacances.

L’instrument du quotidien

Ne pas s’émouvoir de ces barouds féeriques sur nos départementales cabossées, c’est trahir nos aînés et, par la même occasion, nous déshonorer. Dans les faubourgs ou les campagnes, l’accordéon avait des vertus pacificatrices. Il rythmait le labeur quotidien, il était le métronome des existences simples. Ce son déchirant de vérité qui tire aussi bien des larmes que des gigues entraînantes. L’intemporelle Yvette, concertiste déchirée qui abandonna le piano à queue pour les bretelles, a consacré sa vie à la musique. Corps et âme. Elle a vendu plus de disques que tous ces faiseurs sans lendemain qui encombrent les plateaux. Des Hautes-Pyrénées à Nogent-sur-Marne, on la reconnaissait et l’estimait comme un témoin essentiel de notre vie. Aussi solide qu’une borne Michelin.

D’abord amusé par son style vibrionnant, on l’écoutait parfois nous parler des grands musiciens, sa culture classique aurait donné des complexes aux plus instruits. Et puis lorsque Yvette apparaissait dans le petit écran, crinière rousse, accent de Tarbes en bandoulière, ou plus tard, habillée par Gaultier, on était emballé par cette femme ne répondant à aucun critère prédéterminé. Non, Yvette, ton accordéon ne nous fatigue pas et tu as bien fait de ne pas jouer de la clarinette.

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