ET LA MISS CAMPING S'APPELLE ....et PLAISIRS D'ÉTÉ par TH MORALES

On ne dira jamais assez combien la beauté est très inéquitablement distribuée sur Terre. Alors que l’intelligence, si surfaite, est à la portée de n’importe quel « chien coiffé » selon l’expression qu’employait jadis mon père pour qualifier indifféremment un parvenu, un goujat, un prétentieux ou un emmerdeur. Les gens intelligents courent les rues, ils encombrent le poste de télé ou les administrations. Personne n’est à l’abri de leur pouvoir de nuisance. Ils sont partout comme le douanier de Fernand Raynaud, une race bavarde, sentencieuse et irritante.

Posséder quelques diplômes et un avis sur tout est une qualité bien commune de nos jours. S’ils n’étaient pas si nombreux, on pourrait les ignorer. Mais ce phénomène dit du « boulard » ou du « sombrero » semble inéluctable comme l’abstention aux élections et l’épilation intégrale au laser. Quand arrivent les mois de juillet et d’août, on souffle enfin.

C’est l’amour à la plage…

Les vraies valeurs reprennent possession des êtres. Les hiérarchies immuables explosent aux yeux. L’été, les rapports humains ne sont plus soumis aux fadaises du diplôme, du poste élevé, du vernis social, de toute cette mascarade pyramidale. Tout ça éclabousse. Tout ça s’écrase comme un château de sable. Il ne reste plus qu’un critère essentiel et fondamental : la beauté des corps huilés.

Vive la dictature de la beauté!

Lorsque les peaux brunissent et les vêtements s’allègent, les belles filles déploient enfin leur magistère moral et esthétique. Il était temps. Cette dictature-là a des effets euphorisants sur l’ensemble de la population. Durant de longs mois, les créatures se cachent. Elles ont peur d’afficher leur équilibre, leur courbe, leur sensualité et leur incompressible désir de vivre. Elles sont brimées par un système qui ne reconnaît que le rationnel et l’esprit de sérieux. Pour sortir dans l’espace public, elles doivent masquer leurs attributs, gommer une rondeur équivoque, recouvrir une parcelle intime, en un mot, se trahir, donc, nous mentir. Une belle fille qui n’éprouve aucune honte à se montrer nous donne un formidable signe d’espoir. Une leçon de courage, voire d’héroïsme.

Vermeer balnéaire

La miss Camping et sa lointaine cousine, la désirable et non moins mystérieuse cagole de la Méditerranée, dévoilent leur bonne santé et leur humeur taquine sans faux-semblants. Bien dans son corps et dans sa tête, cette amazone des bords de mer ose se présenter devant un public en petite tenue. Quelle abnégation ! On dirait un tableau de Géricault à l’heure de l’apéro, un Vermeer balnéaire. La principale caractéristique de cette miss des stations populaires est ce qu’on appelle le sex-appeal, qui se situe, à la juste limite, entre l’érotisme et la sensualité. Un savoir-être très français. Une éducation particulière. Dans une frontière marécageuse où le corps envoie des signaux forts sans pour autant outrager, sans tomber dans le salace. Ces admirables Miss Camping au bronzage plus ou moins zébré sont les sucres d’orge des vacances. Elles sauvent un séjour pluvieux à Quiberon ou une quinzaine venteuse à Lacanau. On attend leur venue comme celle du facteur. Elles rythment les soirées. Elles cristallisent les passions de la buvette. Elles sont un rayon de soleil dans une actualité pour le moins nébuleuse. Elles anéantissent tous les débats dérisoires sur le déficit public ou les grèves à la SNCF.

Leurs défauts sont des atouts

Avec elles, les paris entre amis n’ont pas l’aspect minable des tables de jeux, on mise sur cette infirmière de Caen parce qu’elle possède une légère cicatrice à la naissance d’un sein. Chez elles, les défauts sont des atouts. Leurs blessures, nos tendresses. De retour dans nos villes et nos tristes banlieues, elles continueront de hanter nos nuits. Leur délicat souvenir viendra atténuer le désarroi de la rentrée. Hugh Hefner, en créant la mythologie de la « girl next door », ne s’y était pas trompé. Ces filles-là ne sont pas irréelles, elles ne singent pas l’envie comme les mannequins des magazines, elles incarnent une France sans tabous. Une France grande et ouverte, débarrassée de toutes ses craintes absurdes.

PLAISIRS D'ÉTÉ

Combien d’entre vous ont été élevés dans le diktat estival du : « Surtout ne pas bronzer idiot ! ». Des générations d’enfants studieux ont subi, pêle-mêle, les visites de musées harassants, de châteaux ennuyeux et d’expositions exténuantes sans jamais broncher. Vous aspiriez à ne rien faire, à vous prélasser au soleil, à enfourcher un vélo sur une route de campagne et à partir loin, très loin des devoirs de vacances et de l’austérité éducative de vos parents. Cependant, il y avait toujours une « bonne» âme dans votre entourage pour stopper votre inclination naturelle à la fainéantise et au farniente. Toujours une grand-mère pour vous alpaguer en plein vol et vous dire : « Et si nous visitions ce château du moyen-âge, sa roseraie est, paraît-il, superbe ? ». Partagé entre le désespoir d’une enfance gâchée et la chance d’être un jour aussi cultivé qu’un bachelier d’avant-guerre, vous suiviez péniblement cette grand-mère qui citait Ronsard et le catalogue Meilland comme d’autres chantent les louanges de l’anisette et de la pétanque.

A ce moment-là de votre existence, vous auriez donné cher pour taquiner le cochonnet et vous affaler devant la télévision. Faire le plein de séries débiles et de plaisirs faciles était votre vœu le plus ardent. Mais vous n’aviez pas le temps, votre programme de lecture et de sorties « culturelles » vous empêchaient de profiter du moindre rayon de soleil. A ce rythme-là, la rentrée de septembre était un soulagement, mieux, une libération. Les années ont passé, vous avez tout fait pour piétiner et oublier cet héritage familial. La majorité obtenue, vous avez délaissé les cloîtres et les bibliothèques sombres pour vous immerger dans le monde des boîtes de nuit et des plages touffues. Rangeant ainsi au placard les leçons de maintien de grand-maman.

Oui, mais alors où aller ? Que visiter ? On frise parfois l’indigestion de festivals en France. Pas une commune qui ne se targue de son « événement » culturel.

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