Tout le monde il est beau, tout le monde, il est de gauche par Guy Daniel et Cet été, avec les filles je ne sais pas par Th. Morales

La gauche, dont les Verts sont le nouveau centre de gravité, incarne la conviction d’incarner le Bien, le Beau et le Vrai. Qui oserait en douter ?


« J’adorerais être de gauche, c’est un souhait. Mais je trouve que c’est tellement élevé comme vertu que j’y ai renoncé […] Quand t’es de gauche, c’est l’excellence : le génie moral, le génie de l’entraide. C’est trop de boulot. »

Une fois lue cette émouvante déclaration de Fabrice Luchini, on se prend nous aussi à regretter de n’avoir pu nous hisser à ces hauteurs vertigineuses. Mais très heureusement, cela ne dure que le temps de faire un tour d’horizon de ce qu’est, de nos jours, la gauche.

La gauche, c’est d’abord le PS, non ?

Oui. Enfin, c’était. Car de nos jours, le Parti socialiste, c’est Olivier Faure. Alors, vous allez me demander qui est Olivier Faure, et vous aurez raison. D’ailleurs, même lui se le demande. C’est un gars modeste, le camarade Olivier. Le genre effacé, au point de s’évanouir de votre mémoire au moment même où il disparaît de l’écran de votre télé. C’est dire s’il incarne à merveille le Parti Socialiste. De fait, la transparence lui est tellement naturelle qu’il est prêt à s’effacer devant tous ses petits camarades des autres gauches en 2022, juste pour permettre à la gauche de figurer au second tour, histoire de prolonger une agonie pourtant devenue bien embarrassante.

Il y a aussi La France Insoumise !

Absolument. La gauche de combat. Quel combat, me direz-vous ? Eh bien, ce n’est pas clair. LFI prétend se battre pour la République, mais foule aux pieds à peu près toutes les valeurs républicaines, qu’il s’agisse de laïcité, d’égalité ou d’universalisme. LFI réclame la parole, mais uniquement pour exiger qu’on vous l’enlève. LFI, au fond, c’est la synthèse de tous les totalitarismes d’extrême-gauche, l’antisémitisme inclus. Des chemises rouges en raison des hasards du calendrier, mais qui auraient aussi bien pu être noires.

LFI prétend vouloir le pouvoir, et peut-être est-ce vraiment le but de certains de ses cadres, mais nul observateur n’en est sûr. En revanche, ils s’entendent tous pour mener un combat plus discret, qui ne concerne qu’eux, celui qui consiste à sauver leurs fesses de bourgeois installés, en négociant des strapontins si d’aventure la raclée qui s’annonce pour 2022 devait avoir lieu. Car s’ils prétendent défendre les masses laborieuses, ils ne voudraient surtout pas devoir un jour en faire partie. En attendant, ils naviguent à vue tout en appliquant cette maxime chère aux anarcho-autonomes : « pourquoi être inutile quand on peut être nuisible ? »

Et EELV, alors ? C’est bien, l’écologie !

En effet. C’est vert, c’est beau, ça attire les âmes d’enfants comme la lumière attire le papillon, et l’argent le percepteur. On comprend pourquoi l’électeur naïf peut choisir, dans le marasme actuel, de voter pour préserver l’écosystème dans lequel nous vivons.

Mais qui vous dit qu’EELV a un rapport quelconque avec l’écologie, malheureux ? L’écologie est une science complexe aux paramètres innombrables, et comme souvent en biologie, une certitude en remplace vite une autre. Or, il se trouve qu’il n’y a aucun scientifique digne de ce nom à la tête d’EELV, et de Jadot à Bayou, tous deux diplômés en commerce international, en passant par tous les autres cadres du parti, vous ne trouverez que des gens qui communiquent, enseignent, ou peignent, mais jamais, au grand jamais, un scientifique digne de ce nom. Et pour cause, l’écologie politique n’est pas une science, mais un ensemble de croyances tournant autour d’un axe majeur : la conviction d’incarner le Bien, le Beau et le Vrai.

Du coup, une fois qu’il a réussi à obliger les autres à brouter des algues, faire du vélo et renoncer à disposer d’une électricité bon marché en continu, l’élu EELV estime qu’il a fait l’essentiel en matière d’écologie, et peut se concentrer à sa vraie mission : le progrès de l’Humanité. En quoi cela consiste-t-il ? C’est très simple : faire disparaître tout ce qui a permis d’amener l’espèce humaine au 21ème siècle.

Le progrès technologique nous a conduits jusqu’ici ? Il faut nécessairement le mettre à bas, se remettre à marcher, si possible à ramper, et peut-être à grimper aux arbres. Avec un iphone à l’oreille, car il y a des limites à tout. L’Histoire a été faite par les mâles blancs hétérosexuels ? Il faut idéalement promouvoir une femme, si possible lesbienne et noire, pour qui on exigera davantage de droits que pour n’importe qui d’autre. Notre civilisation est judéo-chrétienne ? On proteste contre les crèches de Noël, et on hurle à l’islamophobie en défilant avec les islamistes.

Le parti de l’Autre

Car chez EELV, on déteste les phobes. On phile, toujours, en toutes circonstances. S’il pouvait choisir d’être hémophile, le militant EELV le serait, quitte à se vider de son sang. Il est d’ailleurs prêt à laisser l’Autre nous vider du nôtre.

Car plus que tout, EELV aime l’Autre, le Différent, le lointain, l’a-normal. L’anormalité, c’est le summum du progressisme, puisque c’est l’instabilité, que tout ce qui était disparaît et que rien ne peut durer, ce qui contraindra à un nouveau déséquilibre, que l’on pourra appeler « nouveau progrès ». Avec l’anormalité, c’est formidable : le progrès s’entretient de lui-même, et fait table rase du passé en même temps qu’il nous propulse vers un avenir totalement inconnu mais forcément meilleur, puisqu’il ne ressemblera à rien de connu. Tout vaut mieux que ce qui existait avant l’avènement d’EELV : les nouvelles religions n’aiment pas la concurrence.

Alors la gauche c’est fini ?

Mais bien sûr que non ! La gauche, c’est le progrès ! La gauche se réinvente ! Et en l’occurrence, la gauche réinventée, c’est le Printemps Républicain, une de ces merveilles conceptuelles dont la gauche éternelle a le secret. Et ce Printemps républicain, je vous en parlerai une prochaine fois. En attendant, évitez de voter EELV, sinon nous devrons imprimer le prochain article à la presse manuelle.

En 1970, Philippe Lavil, philosophe balnéaire, guidait la jeunesse française vers l’impasse amoureuse


Un jour, dans un siècle, peut-être, on étudiera la discographie de Philippe Lavil, penseur martiniquais, béké à jolies pépées, ethnologue des rapports amoureux honteusement sous-estimé par l’Université française. Ce play-boy au carré long, grand échalas à la moue bravache, avait tout anticipé, tout vu, tout prévu de nos bouleversements intérieurs.

Visionnaire en chemise de lin

Avant les autres, cet observateur narquois de l’émoi, aristo des plages, propagateur de l’amour en mer a mis en musique les errements de l’Homme blanc, sa solitude ontologique ; il a pressenti l’avènement de la société des loisirs, l’émancipation des femmes et le retour salvateur à l’insularité. Un visionnaire en chemise de lin et panama. Un poète des discothèques. Un archiviste de nos souvenirs d’été. Le sable chaud et le flirt furent sa ligne de conduite, son horizon indépassable, il n’en dévia jamais. Il ne se laissa pas emporter par les affres de la misère urbaine, la peur du chômage et la délinquance galopante des cités bétonnées. Il s’est obstinément refusé à tomber dans un registre sérieux et larmoyant, à plaire à l’intelligentsia par des prises de position victimaires ou à paraître préoccupé par les galères du quotidien.

Sa carrière entre hits et gadins témoigne en sa faveur. Ce garçon-là est des nôtres, du côté des perdants flamboyants, des artistes qui ne truquent pas l’existence pour passer à la télé, pour cachetonner, pour soudoyer la ménagère. Son œuvre est bien plus profonde et nostalgique qu’une analyse progressiste d’une défaite électorale ; sous son apparente légèreté, elle révèle les mystères du couple, l’improbabilité d’une rencontre, le frôlement des peaux satinées et la mer, là, immense et béate, comme un décor qui vient foudroyer la vacance des cœurs. Ses chansons s’écoutent au volant d’un cabriolet français ou italien, Peugeot 504 ou Alfa Romeo Duetto Coda Longa, sur une corniche déserte, quand l’esprit est seulement accaparé par une fille aux lèvres ourlées, entraperçue dans le hall d’un aéroport ou au bar d’un hôtel de luxe.

Esthète du microsillon

Plus sensuel que Roy Ayers et ironique que Pino d’Angio, Philippe Lavil ose chanter ce que les intellectuels taisent par ignorance ou suffisance. Souvenez-vous de vos vingt ans, l’Europe pouvait bien se construire à coups de traités et le tunnel sous la Manche annihiler nos singularités, notre tête et notre corps ne répondaient à aucune injonction technocratique. A chaque seconde de la journée, nous n’envisagions pas d’autres solutions à notre malaise  que de trouver, de capter, dans le regard de l’autre, un moment d’attention et d’abandon.

Nous n’avions pas saisi que Philippe Lavil nous apprenait à déjouer la routine et à rire de nous en tapant sur des bambous. Nous étions bien trop prétentieux, aveugles à la beauté d’un couplet dansant, pour ressentir que ses mélodies caribéennes contenaient la trace d’une humanité rieuse et désespérée. Sa musique nous apprend à jongler avec les incertitudes et à résister à la tentation du désespoir, si facile, si évidente à l’âge où les hormones envoient des SOS en détresse au cervelet. Le chanteur qui avouait « aimer trop les dames » dans un titre prophétique « Plus j’en ai, plus j’en veux » a soldé toutes les théories de l’expansion économique en se réfugiant dans le Kolé Séré. Son premier succès « Avec les filles, je ne sais pas » sort en 1970 chez Eddie Barclay, tailleur esthète du microsillon et lui assure de très nombreux passages à la radio. Philippe Lavil s’interroge alors sur l’incohérence de l’existence.

L’époque où le second degré avait encore sa place

Pourquoi son copain Panpan « moche et fauché » le coiffe toujours au poteau lorsqu’il s’agit de ne pas rentrer seul à la maison. Le clip dans les tons orangés, est somptueux d’incompréhension et de gamineries. Le personnage de Panpan est incarné par l’immense Carlos en pantalon rayé et tee-shirt moulant. À la fin de la chanson, Marcel Zanini, lunettes américaines, moustache rayonnante et chapeau swinguant fait une apparition féérique plongeant le public dans un abysse de perplexité. C’était une époque où le second degré avait encore sa place dans la variété.




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