Bernard Blier: « J’ai bon caractère mais j’ai le glaive vengeur et le bras séculier" Réveillon 1981 par Th. Morales et La triste cohorte des Maitres à Voter

Un documentaire inédit sur la carrière de Bernard Blier sera diffusé durant les fêtes de Noël sur France 5.


« Il causait pas, il ventilait. » Chez lui, les mots prenaient une autre dimension, du poids et paradoxalement une forme de légèreté. On a beau chercher une explication rationnelle à sa permanence dans nos mémoires, serait-ce cette scansion apprise par le maître Jouvet, expert en diction, une manière de poser chaque syllabe sans intellectualiser l’émotion, de ne jouer rien que le texte, de ne surtout pas s’en écarter par cet esprit de rébellion qui embrume trop souvent les comédiens satisfaits d’eux-mêmes ?

Profondeur intimiste et rigolarde

Technicien hors-pair, Blier ne se contentait pas de réciter, il imprimait son rythme, son ton, sa faconde, sa science du geste, l’économie du déplacement souverain et surtout il plongeait le spectateur dans une profondeur intimiste et rigolarde. Un entre-deux aussi inquiétant que délectable. Son talent immense résidait dans la fluidité et la justesse. Le travail s’efface devant la fraîcheur d’une réplique, la candeur d’une attitude, toute cette innocence feinte qui donnait de la chair à ses personnages gratinés, faux-jetons ataviques et atrabilaires mémorables.

Avec Bernard Blier (1916-1989), illusionniste de génie, l’éruption était sous-jacente, l’explosion verbale jaillissait dans la drôlerie et/ou l’effroi. Il réussissait toujours à nous surprendre, chacune de ses apparitions, même dans d’infâmes nanars, avait le don de nous ensorceler. On croyait, à tort, déceler des astuces d’artisans, des trucs de professionnels appris au Conservatoire, des raccourcis comiques qui ravissaient alors la famille réunie pour la séance du dimanche soir, mais il fallait se rendre à l’évidence. Blier n’était pas seulement marrant ou tordant, avec son physique d’abbé défroqué et ses dialogues débités à la mitraillette, sa présence inoubliable dans toutes les comédies populaires de l’après-guerre nous projetait dans les entrailles de notre pays.

Entre Raoul Volfoni et Arnolphe

On foulait à ses côtés, cette vieille terre de France sentant bon les années 1950/1960, cette nostalgie goguenarde et la farce des mots écrits à la chandelle. Un temps disparu où le cinéma prenait conseil à la BNF. Les grands auteurs y étaient vénérés, la phrase ouvragée remplaçait l’action à la dynamite, les silences étaient intelligents, l’acteur, un presque dieu vivant. On était devant notre poste comme au théâtre ce soir, Blier enfilait le costume du cocu geignard, de l’assassin repenti ou du PDG despotique, il était tantôt l’ouvrier à la rondeur suspecte ou le bourgeois désopilant, éternel second qui volait très souvent la place du premier rôle.

Lui seul savait donner l’impulsion précise à un dialogue d’Audiard, il était sa voix, son métronome et certainement son mojo. Jouer la comédie semble si facile quand on le regarde aujourd’hui encore interpréter Raoul Volfoni ou Arnolphe, l’aisance est trompeuse, la grâce, un bien précieux qui touche peu d’acteurs. Blier faisait partie des rares élus qui avaient le don et la faculté de se fondre dans une autre peau.

Causeur a décidé de gâter ses lecteurs en leur offrant un conte de Noël signé Thomas Morales (1/2).


 

Papa Poule vient de se terminer sur une image filandreuse tirant sur le gris perlé comme dans un brouillard londonien. Depuis l’élection de François Mitterrand, notre téléviseur Grundig a pris le pouvoir sur les réalisateurs de la Une. Il a tendance à mélancoliser ce feuilleton en forçant sur les teintes hivernales et à brouiller les infos quand le présentateur ose parler de l’opposition gouvernementale. Selon ma grand-mère, il couperait volontairement la parole à VGE et à Raymond Barre dans un honteux déni de démocratie.

Le Général avait ouvert la porte aux communistes

Elle en appelle à la mémoire du Général qui avait jadis ouvert la porte aux communistes, bien mal lui en a pris, avec ces gens-là, la trahison est inscrite dans leurs gènes. Ils ne sont pas convenables, répète-t-elle à ses amies du presbytère. Ils ont le vice de l’égalitarisme dans la peau, ajoute-t-elle pour celles qui seraient sourdes ou socialisantes. Elle soupçonne notre poste de télé d’être un agent infiltré du KGB à l’intérieur de notre foyer berrichon. Les soviétiques auraient installé des mouchards dans tous les appareils de la région afin de surveiller les classes occidentales bourgeoises.

Sa théorie a déjà convaincu notre voisin, notaire et vieux garçon, ce qui alourdit en soi son existence taciturne. Pas étonnant selon elle, le vendeur d’électro-ménager du village ne lui a jamais semblé digne de confiance. Sa fille n’a pas fait sa communion solennelle et son gendre est instituteur en banlieue rouge. C’est dire s’il est suspect à ses yeux. Il a l’œil maussade de Georges Marchais, cette trogne vindicative à toujours vouloir fouiller son nez dans le porte-monnaie des autres. Désormais, lorsqu’elle passe devant l’appareil maudit, elle chuchote de peur d’être soupçonnée de déviance idéologique. Les chars rouges et le programme commun lui ont coupé l’appétit en mai dernier. Les indirects l’achèveront au tournant de la rigueur, deux ans plus tard.

L’impression de flotter dans le salon Louis XV

Ce soir, le réveillon de la Saint-Sylvestre réunira toute la famille. Les cousines de Touraine seront là, avec leurs têtes de cocker endimanché et leurs insupportables manières de filles modèles. Les biarrots sont arrivés en BMW en début de semaine, ils logent chez Alfred, l’associé de mon grand-père qui possède un manoir aussi délabré que sa gestion comptable s’avère hasardeuse. Même l’oncle René de Port-Grimaud a confirmé sa présence avec sa nouvelle fiancée, une esthéticienne ou une cartomancienne, je n’ai pas compris ce que disait ma mère dans la cuisine hier soir. J’avais pourtant l’oreille collée contre la porte. De toute façon, ces deux professions me sont inconnues. Elle a vingt-cinq ans de moins que lui, ce qui semble réjouir mes parents, peu à cheval sur la morale et ravis de faire hurler ma grand-mère, potentat local qui régente tout depuis un demi-siècle dans la maison. Il me reste quelques heures à tuer dans le profond canapé ligne Roset avant de passer à table. Retrouverais-je un jour le confort, cette mollesse d’avant la crise, qui donnait à mes siestes un léger tangage marin ? L’impression de flotter dans le salon Louis XV. Un bateau ivre d’inspiration pop aussi incongru dans le mobilier de style que ce cactus qui remplaçait, cette année-là, l’éternel sapin.

 

LA TRISTE COHORTE DES MAITRES A VOTER

Sportifs, syndicats, universitaires partisans, pétitionnaires convulsifs…


Les citoyens sont devenus grands. Ils savent que le 24 avril ils auront le choix entre Emmanuel Macron, Marine Le Pen, le vote blanc (pas encore reconnu) et l’abstention. Pour ma part mon parti est pris et même si j’attends avec impatience le débat du 20 avril entre les deux candidats, il ne changera pas ma décision. Ce n’est pas que je me désintéresse de tout ce qui s’est engagé depuis le soir du premier tour et suscite une campagne rude, acrimonieuse, sans concession, parfois violente. Le président candidat prend son adversaire au sérieux et, ne se plaçant plus en surplomb, montre qu’il est capable de quitter le “respect” qu’il éprouvait paraît-il, pour une argumentation et des contestations plus que vigoureuses. Marine Le Pen, quant à elle, use de son registre habituel, pour l’essentiel contre les élites dont Emmanuel Macron serait à tous points de vue une parfaite incarnation ; elle se présente comme la défenseur du peuple.

Le règne de l’injonction

Pour qui est un lecteur et un téléspectateur compulsif en matière de politique, la matière ne manque pas et par exemple il a pu enrichir sa réflexion avec le très long et brillant entretien donné par Emmanuel Macron au Point sans, il est vrai, qu’il ait été poussé dans ses retranchements. De sorte qu’il a pu, dans le genre qu’il affectionne, mêler intelligence, intuition, finesse, analyses et une propension à être moins à l’aise avec l’action et l’opératoire. Pour Emmanuel Macron, ces derniers sont des sacrifices délestant la surabondance et la complexité du réel.

Je cherche à signifier par toutes ces observations que les problématiques, les failles, les approximations ou les doutes liés aux programmes des candidats sont largement connus et que le citoyen peut aisément se dispenser de tous ceux qui, pour le RN, lui donnent des leçons de morale en lui enjoignant de ne pas s’égarer comme s’il était simple d’esprit et donc à guider par l’esprit et la main. C’est ce que je nomme la triste cohorte des maîtres à voter qui, sur tous les registres, confondent une authentique démocratie avec le règne de l’injonction.

Demain, des dizaines de syndicats vont manifester contre l’extrême droite. Un tocsin qui à force d’être sonné sera sans doute moins pris au tragique et qui offrira ce paradoxe de s’opposer, par une voie guère républicaine, à un parti décrié comme non républicain. On aurait pu espérer un progrès de l’équité démocratique depuis 2017, quelle que soit l’aversion politique pour le camp exclusivement ciblé : il faut déchanter.

Salmigondis macronien

Le 24 avril je serai dans l’isoloir mais puis-je dire, sans offenser qui que ce soit s’étant posé en mentor républicain, que Bertrand Delanoë, Lionel Jospin, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Fabien Roussel et Valérie Pécresse n’auront pas la moindre influence sur mon for intérieur et ma décision. Pas davantage que la proposition de Jean-Luc Mélenchon certes plus ouverte, martelée quatre fois avec ironie, refusant que la moindre voix se porte sur Marine Le Pen. Aussi peu que Nicolas Sarkozy nous vantant les lumières d’un avenir avec Emmanuel Macron mais occultant soigneusement les ombres troubles de cette négociation menée de longue date et qui, prétendant sauver LR, veut le fondre dans un salmigondis macronien, une sorte d’Agir à la passivité éclatante et à l’influence nulle. Tout cela pour des députés sélectionnés et quelques ministres ! Aussi peu que François Hollande, détestant Emmanuel Macron et méprisé par ce dernier le moquant de concert avec Nicolas Sarkozy. Pas davantage que cette tribune de sportifs parmi lesquels le formidable demi de mêlée Antoine Dupont qui devrait à mon humble avis se méfier de la mêlée partisane même si à tout prendre je le préfère aux pétitionnaires compulsifs et aux politiciens opportunistes et transfuges.

Bien moins encore que les diktats de BHL ou la campagne de notre quotidien de “référence”, Le Monde, qui au mépris de toute équité démocratique a abandonné, s’agissant de Marine Le Pen, les exigences de l’information (la dénonciation immédiate l’altère et la biaise) au profit d’une prise à partie constante d’autant plus choquante que pour l’adversaire la complaisance est de mise. Ce n’est pas non plus la violation absolue de son obligation de réserve par une présidente d’université à Nantes, dictant leur futur vote à ses collègues, qui va me rassurer et m’inciter à m’entourer de conseils.

Toujours la même rengaine…

Je ne me fais aucune illusion. La liste des maîtres à voter va s’allonger jusqu’au second tour. Car si la lucidité vous convainc que cela ne sert à rien, le sentiment d’importance que cela donne vous gonfle. Quelle volupté aussi de pouvoir s’abandonner à la paresse d’une indignation morale (évitant de réfléchir par exemple sur le concept rebattu d’extrême droite et de pointer faiblesses politiques et techniques d’un projet détesté par principe) !

 

On n’a plus le front républicain en gros mais on l’a au détail !

Qu’on ne vienne pas me répliquer, par infirmité intellectuelle, selon une triste habitude, que récuser la légitimité des maîtres à voter, refuser leur emprise sur nos esprits libres serait en réalité approuver ce qu’ils ont en horreur. Point du tout. Je me contente – et je crois ne pas être le seul dans cette lutte pour l’autonomie de nos intelligences et de nos choix – de dénier la volonté de caporalisme qu’une pensée toute faite, ne se questionnant jamais, s’assigne. En prétendant nous déposséder de ce qui ne regarde que nous.

Qu’on nous laisse penser seuls. Arbitrer seuls. Face à notre conscience et à notre savoir. À nos désirs. À notre vision de nous-mêmes, de notre pays. Continuer à s’arroger le droit de nous gouverner aurait pour effet le contraire de ce que à quoi toutes ces belles âmes aspirent.

Nous ne sommes plus des enfants. La démocratie n’est pas une nursery.

Le 24 avril je serai dans l’isoloir et personne ne sera à ma place.

 

 

 

 

 

 

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