La Guêpe fête aujourd'hui ses 75 ans ET Tour de France. La famille «Petitpois», savoureux souvenir par François Simon

 Belle macro. 

Belle prise

Superbe 

Magnifique

Le 23 avril 1946, Piaggio inventait la Vespa, le deux-roues le plus piquant de l’après-guerre

Si vous croyez que la Vespa est une motocyclette italienne produite par Piaggio et imaginée par l’ingénieur Corradino D’Ascanio, également à l’origine de l’hélicoptère, c’est techniquement vrai, mais charnellement faux. Historiquement juste, mais un peu court, jeune homme. Tellement loin de la réalité véhiculée par le plus bel objet transalpin du siècle dernier, né exactement le 23 avril 1946. L’expression du désir à la portée de toutes les bourses, l’incarnation du miracle économique. En fait, la Vespa est beaucoup plus qu’un moyen de locomotion lancé dans une Italie en pleine reconstruction. Beaucoup plus qu’un sujet pour thésard en rupture de ban à la recherche de l’identité italienne. La Vespa est à la fois un signe de dieu, une leçon de style, une philosophie balnéaire, une éthique du détachement souverain, une esthétique de la flambe décontractée et puis aussi ce ballet de jambes dénudées en fin d’après-midi autour de la Piazza Navona, à Rome. Entendez-vous les rires complices sur cette plage de Rimini et la morgue d’une jeunesse bronzée en quête d’un flirt ? La Vespa, c’est une allure et un moment d’égarement, une pureté des sentiments et des rondeurs maternelles, des baisers volés et l’insolence d’un dernier été, un slow d’Adriano Celentano et la poitrine bombesque de Sophia Loren au balcon, les Pasta de Lino et les fanfaronnades de Vittorio, peut-être le dernier appel à résister, à ne plus se soumettre, à oser enfiler une paire de Persol et dépasser la limite des dix kilomètres, à emprunter la veste en suédine de votre père, celle qui semble sortir d’un film de Jean-Luc Godard où tous les garçons s’appelaient Patrick et à enfin user d’une liberté tellement bafouée ces derniers mois. Jusqu’au milieu des années 2000, la Vespa n’avait presque pas changé. Sa singularité mécanique était notre romantisme latin, sa conduite désaxée, notre nouvel existentialisme. Elle avait hérité d’une coque autoporteuse, d’un moteur deux temps, de changements de vitesses au poignet, de petites roues et d’un déhanchement sensuel en raison d’une répartition inégale de son poids à l’arrière. À son guidon, en costume ou en bleu de travail, en bermuda ou en soutane, on ne se salissait pas, elle légitimait même le port de la mini-jupe sans outrager la vue de Pie XII. À vrai dire, on n’enfourchait pas une Vespa comme n’importe quel scooter moderne. On faisait durer le plaisir. Elle nous apprenait l’importance des préliminaires. Avant de lui asséner un coup de kick salvateur, et de se laisser emporter par son chant mélodieux, le pépiement du deux temps, l’onde nostalgique par essence, on frimait carrément. Il y avait du Pino d’Angio en nous. Sans honte et sans reproche, nous assumions alors notre légèreté et notre inconstance gamines. Nous n’étions pas terrorisés par le qu’en-dira-t-on des voisins et les regards désapprobateurs des professeurs. Les réseaux sociaux n’existaient pas dans son monde à elle. Dans une société qui rabote toutes les aspérités et promeut le laid comme dénominateur commun, la Vespa était une manière de snober les censeurs. De tancer les cons, de parader juste pour le plaisir, juste pour gagner quelques minutes de bonheur, et de se sentir vivant ! Ricchi e Poveri, elle rendait sa fierté aux ouvriers d’usine et déréglait les fils de famille. Elle donnait du charme aux étudiantes à lunettes et de l’épaisseur aux boutonneux. Elle se couchait comme une baleine dans les virages et surtout elle nous autorisait à voyager à deux, contrairement aux mobylettes françaises, vieil héritage d’un communo-gaullisme calotin. Le célibat n’était pas sa raison d’être. Cette adorable guêpe n’avait pas besoin d’un passeport sanitaire pour se déplacer. Elle était partout chez elle, sur les pistes du Paris-Dakar, dans Les Simpson ou les bras d’Audrey Hepburn, sur les circuits ou les terrains militaires, on la fabriquait même sous licence dans la Nièvre à Fourchambault. Moi, je suis tombé amoureux d’elle, au cinéma, c’était en 1994, dans “Journal intime” de Nanni Moretti, elle était bleue de peau, renaissance romaine au rythme de Leonard Cohen et apparition de Jennifer Beals qui me serre encore le cœur, vingt-sept ans plus tard. Il m’en fallait une. On ne naît pas Vespiste, on le devient. J’attends le 3 mai prochain pour libérer ma guêpe de sa prison.

LA MATERNITE D'ELNE, VERITABLE HAVRE DE PAIX POUR LES REFUGIEES DE LA RETIRADA ET PENDANT LA 2EME GUERRE MONDIALE; 

 

Une question : "Les retransmissions télévisées en intégralité ont-elles fait du mal au récit cycliste ?" Réponse de Philippe Brunel, ancien grand reporter au journal L'Équipe : "Elles ont donné voix aux sponsors, aux fausses échappées, aux réputations usurpées. On traite des champions quand ils n’en sont pas. L’enthousiasme est devenu professionnel. Et je trouve que cela se sent. On force un peu le trait. Il n’y a plus de grands récits."

Partant de ce constat, implacable, partant du constat que les écrivains n'écrivent plus sur le Tour de France alors que la puissance autonome de l'écriture devrait être une nécessité impérieuse, Prolongation est allée demander des textes à de grandes plumes, sinon des grandes conversations.

Ainsi, depuis lundi et jusqu'à samedi, vous pouvez lire, déguster, ces moments rares. Philippe Brunel donc, mais aussi Jean-Louis Le Touzet, François Simon, Philippe Bouvet, Vincent Coté et Jérôme Bergot ont accepté de parler ou d'écrire sur la chose cycliste. Ils en sont follement épris. Comme nous. Juilletistes nostalgiques. Prenez votre temps.

Tour de France. La famille «Petitpois», savoureux souvenir par François Simon

Sa plume vous manque ? À nous aussi. François Simon a longtemps illuminé la dernière page d’Ouest-France par ses billets d’humeur troussés comme personne, ses portraits, son regard à la fois drôle et tendre sur les vraies gens. Il a fait quelques sauts durant sa carrière sur le Tour de France pour le raconter avec ses yeux et rapporter la parole des amis êtres humains. Ce qui lui valu notamment de recevoir deux fois le prix Pierre-Chany, en 2002 et 2009. Prolongation lui a demandé un texte, une carte blanche comme on dit. La voici.

« L’air était plombé de « câodroles », ces bouffées de chaleur qui crayonnent de jolies vagues sur les plaines à blé. L’été, rageur, roulait sur le grand plateau dans ce pays sans arbres, sans ombres ou si guère, si peu que c’était misère.

Nous étions à quarante-huit heures du départ de la Grande boucle, un contre-la-montre autour du Futuroscope, en l’an zéro de notre siècle, amorce d’un Tour qualifié un peu vite du renouveau car l’EPO avait souillé l’épopée, ce qui n’était pas peu. La longue tyrannie de Lance Armstrong s’installait. Dans le ciel immensément bleu, flottaient quelques rares nuages de soupçon.

Les jours d’avant le Tour sont faits de siestes, de confidences, de visites médicales, de rosé à la fraîche, de retrouvailles et d’espoir. C’est là où nous les avons vus pour la première fois. Les Petitpois, ainsi nommés car ils étaient habillés du légendaire maillot des meilleurs grimpeurs, ceux qui ne fréquentent que les sommets là où l’air est rare et la foule nombreuse, la passion sans freins, la vie chavirée, le rêve en marche, la vie en mieux.

La famille Petitpois filochait donc en peloton soudé au cœur de cette caravane prête à mettre en marche. Papa, Maman, les deux garçons, floqués tout pareil, atteints d’une même rougeole et de la même envie, la même idée à pignon fixe en tête : approcher Richard Virenque et lui soutirer un autographe par tête de Petitpois, c’est-à-dire quatre signatures.  

On a difficilement idée de la capacité à électriser les foules de Richard Virenque en ces années de repentir surjoué d’après l’affaire Festina. Sur le bord des routes, cette brindille pédalante d’une maigreur effrayante, à la mine d’angelot tout fou, était sifflée petitement et follement ovationné.

Il était Anquetil-Poulidor à lui tout seul, ce qui constituait un exploit car il n’avait ni le génie du premier, ni la vaillance pure et chevaleresque du second. Enfin Virenque, c’était Virenque. Il était le héros d’une France en panne de grand champion cycliste, affamée de panache et de Marseillaise sur les Champs, en disette déjà. Presque en manque. Et en pétard comme toujours.

Pour les Petitpois, Richard Virenque, ce type épatant, était l’idée fixe au saut du lit, la quête sans fin jusqu’à la nuit étoilée du Poitou. Huit fois par jour, la famille lui présentait ses carnets à spirale et le stylo vengeur. Huit fois par jour, serviable, gentil, souriant, Virenque l’obsessionnel se prêtait au jeu. L’icône idolâtrée signait sans se faire prier.

Seul papa Petitpois était mandaté à approcher le champion avec tact et dévotion. Hélas, tétanisé, noyé d’émotion, il calait, chique coupée, étranglé par l’enjeu et alignait la même phrase chantournée d’enthousiasme, en cinq mots et deux points d’exclamation : « La gagne, Richard ! La gagne ! »

Au fil des jours de veille du grand évènement, les Petitpois avaient pris dimension de symbole, voire de panel. Ils étaient devenus pour les suiveurs, le dernier carré du public inébranlable, habité par la passion et la légende, l’âme fidèle, l’amour inoxydable du peuple gaulois pour cette course qui réécrit chaque année son roman national. Et ensoleille ses beaux étés.

 

Un soir, privilège des suiveurs suivants et traîne-savates, nous avons eu la veine et la joie de partager un verre anisé avec eux, dans leur camping-car marqué par les ans et les odyssées. On y a parlé de la vie qui allait vaille que vaille, du boulot du père qui menaçait ruine, des deux garçons adorés et adorables et de la maman qui tenait tout le monde debout.

Et bien sûr de Richard dont ils parlaient tous les quatre comme de Robin des Bois. Richard qui avait vaincu, à la pédale, les juges, la presse et les télés, les emmerdeurs, le sens commun, l’insu et le plein gré. Et bientôt Lance Armstrong.

Leur bonheur d’être là, au bord de la route des géants, était palpable. Le bonheur est une matière première quand il est sincère et servi frais. Des glaçons dans ton petit jaune, journaliste ? Volontiers.

Deux jours après, deux étapes plus loin, on les a revus. Ils fraternisaient avec un jeune Danois, prénommé Skiby ou un truc comme ça. Le gars avait regardé une étape à la télé chez lui et il s’était dit qu’un pays aussi beau devait ressembler au paradis. Et qu’il fallait s’y rendre sans tarder. Ce qu’il fit.

Il était arrivé en France avec deux pots de peinture blanche et rouge et trois pinceaux. Tous les jours, Skiby peignait des drapeaux danois sur la route et des points rouges pour ses copains, les Petitpois. Le Tour de France est un truc insensé. Vraiment. »

Commentaires