Nous n'irons plus sur les chemins, à bicyclette, avec Paulette ... par Didier Desrimais et Lettre ouverte d'un "triste clown" à un mandarin mal élevé par Yves Laisné et ci-git le vieux Paris de Th. Morales.

Le vélo, moyen de locomotion autrefois si poétique, a bien changé. En 2021, le vélo est gris, vert, coopératif, citoyen, électrique. Il porte des noms aussi laids que lui, Vélib à Paris ou Vélov à Lyon


Il y a un peu plus d’un demi-siècle, le vélo était encore un symbole de liberté, de découvertes et d’amitié. À peine savions-nous marcher que nous grimpions sur un premier engin à trois roues, un rutilant tricycle rouge. Plus tard, nous partions à quatre ou cinq sur les routes de campagne sur des vélos de course déjà usés par nos aînés. Nous nous prenions pour les illustres coureurs cyclistes de l’époque et tirions à la courte paille l’honneur de porter le nom du plus populaire, Poulidor. Nous simulions des courses avant de nous allonger au bord d’un étang, sous les arbres, les mollets en feu. Des cousines parisiennes nous rejoignaient, grimpées sur des vélos « pour filles ». Nous rentrions tous ensemble pour le dîner, et les garçons en profitaient pour montrer à leurs cousines et aux amies d’icelles la meilleure manière d’attaquer une côte et d’atteindre son sommet dans un sprint endiablé. En spectatrices attendries et heureuses d’avoir stimulé l’effort compétitif des garçons, les filles applaudissaient puis posaient un baiser pudique sur la joue du vainqueur. 

La petite reine du cinéma français

Le cinéma français a souvent mis à l’honneur la “petite reine” : Les copains d’Yves Robert (et de Jules Romains) traversent l’Auvergne et abordent les bourgades endormies, Ambert puis Issoire, sur leurs superbes machines. Après l’effort, les saucissons et les bouteilles débordant des sacoches scellent l’amitié de ces guerriers poétiques et vélocipédiques.

Dans Fric-frac, Marcel (Fernandel) et Renée (Hélène Robert) font une virée en vélo avec la belle Loulou (Arletty) et son “associé” Jo (Michel Simon), rencontrés au vélodrome de Montrouge. L’air est aussi doux que peu contraignantes les allées forestières. Les bicyclettes sont négligemment déposées sur le bord d’un fossé ; on s’allonge sur l’herbe, on marivaude, on sieste ; puis on remonte sur les biclous pour se mettre à la recherche d’un café et étancher la soif à coups de « perniflard. »

Dans Rue des prairies, Henri Neveu (Gabin), assis à califourchon sur la chaise d’un bistrot, mime le coureur sur piste sous les applaudissements de son ami Ernest (Paul Frankeur). 

Jacques Tati, alias le facteur François de Jour de fête, élève la bicyclette au rang d’objet d’art poétique et comique. 

Nous sommes entrés dans l’ère du vélo moche

2021 : le vélo est gris, vert, coopératif, citoyen, électrique. Il porte des noms aussi laids que lui, Vélib à Paris ou Vélov à Lyon. Il est souvent sale, abîmé par des “usagers” peu scrupuleux, aligné sur ses congénères en rangées disgracieuses qui accentuent sa laideur. Les curés écologistes vantent un appareil qui « s’inscrit dans le domaine de la mobilité partagée » et promettent la rédemption à l’égoïste citadin qui remplacera son véhicule à moteur par ce hideux tas de ferraille. Converti, l’“usager” du Vélib – à qui il ne viendrait à l’idée de personne de ma génération de donner le nom de cycliste – emprunte des sentiers fléchés, raide sur sa selle comme un missionnaire écologique : il est devenu “éco-responsable” et tient à ce que cela se voie.

Comme un malheur n’arrive jamais seul, et que cette époque raffole de raffinements autodestructeurs, on voit apparaître ici ou là des ateliers de réparation de vélos… non-mixtes. “L’Atelier du Pignon” de Nantes inaugurait ainsi ce mardi 13 juillet un « atelier pour les femmes et les personnes non-binaires » ayant pour but de « briser les stéréotypes voulant que la mécanique est l’apanage des hommes, permettre aux utilisateur.ices (?!) de réparer leur vélo dans un endroit bienveillant, permettre la transmission de savoir-faire de femme à femme. » Plusieurs villes suivent le mouvement. Dans l’agenda de la mairie de Paris, on pouvait lire il y a quelques semaines l’annonce de l’association “La Cycklette” à propos d’un atelier-vélo intitulé “No’Mec Anique” : « en mixité choisie (femmes, personnes trans, personnes non binaires), pour faire de la mécanique dans un espace libéré des rapports de domination genrés. » Dans le 20ème arrondissement, les soirées “Maniv’Elles” proposent un atelier-vélo « réservé aux femmes et personnes issues des minorités de genre. » L’atelier “Vélorution Bastille” réserve les jeudis soirs aux « femmes-trans ». La ville de Lyon soutient “À vélo Simone”, association qui organise des permanences « sans hommes cisgenres », tandis que celle de Grenoble épouse la cause de la “Clavette grenobloise » et ses espaces consacrés aux « femmes, trans, intergenres, intersexes. »

 

Bref, la bicyclette est partout, sur les écrans, dans la littérature, dans la vie. Elle embellit les allées des bois et les avenues parisiennes. Le tandem, le cycle des amoureux, connaît son heure de gloire. Les enfants rêvent de devenir un des coureurs du mythique Tour de France, et de lire leurs exploits dans les chroniques de Blondin. « Dans Paris, à vélo, on dépasse les taxis », chante joyeusement Joe Dassin qui ne sait encore rien des futures « mobilités actives ».

L’empire du Bien ne veut plus de voitures

Il fut un temps où nous partions de bon matin sur les chemins, à bicyclette, avec quelques bons copains. Y avait Fernand, y avait Firmin, y avait Francis et Sébastien, et puis Paulette. Ce temps-là est révolu. Nous ne connaîtrons plus l’enfer pour n’avoir pas voulu mettre pied à terre devant Paulette pour la raison que Paulette a été remplacée par Jenniphair et que cette dernière tient à présent une boutique de “mobilités actives” exclusivement réservée aux femmes et aux personnes issues des minorités de genre. Jenniphair ne chante pas joyeusement que « dans Paris, à vélo, on dépasse les autos », car elle espère qu’il n’y aura bientôt plus d’autos dans Paris mais uniquement des trottinettes et des vélos dont le surnombre fera ressembler notre capitale aux tristes et grouillantes métropoles chinoises des années 60. Elle appelle ça le progrès…

 

Une réponse au Professeur Gilbert Deray, chef de service à la Pitié-Salpêtrière, qui a écrit dans le Journal du Dimanche que les “anti-vaccins s’imaginent en De Gaulle, [alors qu’] ils ne sont que des tristes clowns”.


Monsieur le professeur Gilbert Deray,

Dans le JDD du 17 juillet 2021, vous adressant à ceux qui manifestent contre le « passe sanitaire » et l’obligation « vaccinale » coercitive ou sournoise, vous n’hésitez pas à écrire un article empli d’invectives, intitulé “Ces anti-vaccins s’imaginent en De Gaulle, ils ne sont que de tristes clowns.”

Qualifiant leurs protestations de propos obscènes, ceux qui protestent de tristes clowns, profiteurs de la guerre, petites personnes, profitant de la misère de la peur et de l’ignorance, minables mais dangereux, clowns grotesques et grossiers, les apostrophant de “vous êtes des criminels et vous avez déjà perdu” vous répétez en conclusion : “Politiciens véreux, médecins sans âme et commerçants de la peur, vous êtes des criminels et vous avez déjà perdu.” Un tel déferlement de haine rappelle les invectives de la presse extrémiste de l’entre-deux-guerres, en moins bien écrit.

J’étais à la manifestation de samedi 17, pour la liberté, organisée, notamment, autant que je sache, par MM. Philippot et Dupont-Aignan, dont je ne partage pas les opinions. Le sujet n’était pour les dizaines de milliers de personnes qui se sont déplacées (et pas quelques milliers, comme écrit l’Obs, avec une pointe de mépris), pas les revendications politiques de ces leaders, mais la liberté. Cette liberté, régulièrement clamée et acclamée par le cortège, cette liberté qui domine la devise républicaine au fronton de nos édifices officiels, cette liberté pour laquelle tant de braves gens ont donné leur vie depuis des millénaires, flamme vacillante, toujours menacée par les gens de pouvoir, toujours renaissante, toujours vivante.

N’étant plus un jouvenceau – je suis de quelques années votre aîné – je n’avais pas participé à une manifestation depuis un demi-siècle. J’y ai vu une foule calme et déterminée de gens représentatifs de la société française, de tous âges, beaucoup de femmes, de jeunes, des artistes, des bourgeois, des ouvriers, des personnes issues de la diversité, un sympathique couple gay, deux Américaines adorables venues apporter leur soutien, des reporters de profession (pas beaucoup) ou improvisés, des soignants en blouse blanche ou bleue, bref des gens qui n’ont ni appartenance ni allégeance commune et qui se sont unis dans cette marche (trois heures dans la chaleur et pour partie au soleil) pour défendre leur bien le plus précieux : leur liberté.

C’est cette partie de la population, celle qui est attachée à sa liberté, celle qui résiste à la servitude décrétée « pour son bien » par mandarins et énarques, que vous attaquez en termes blessants. Oui, Monsieur le professeur, je me suis senti blessé par vos invectives. L’invective est une violence. L’injure publique (« criminels ») est un délit.

Venons au fond du débat. Il s’agit d’un conflit de valeurs. Ce que, d’ailleurs, tôt ou tard, les plus hautes juridictions devront arbitrer. Quelle valeur doit l’emporter : le droit de l’individu à disposer de son propre corps ou un impératif collectiviste allégué de santé publique ?

Les comparaisons, que vous critiquez, avec des régimes totalitaires ou des crimes passés du pouvoir, sont légitimes, car il est normal que, lorsque le pouvoir s’attaque à une liberté fondamentale, on se réfère à d’autres attaques contre la liberté, historiquement connues.

Peu importe que les opposants au vaccin obligatoire aient scientifiquement raison ou tort. Bien présomptueux d’ailleurs (ne l’êtes-vous pas un peu ?) celui qui pourrait prédire ce qu’on dira dans dix ou vingt ans du bien – ou mal fondé de cette campagne de « vaccination » à marches forcées.

Ce qui est en cause n’est pas un débat scientifique dans lequel on a entendu tout et le contraire de tout. Un seul exemple : lors du démarrage de la « pandémie » la vérité officielle sur l’origine du virus était qu’une chauve-souris avait mordu un pangolin, après quoi ce mammifère à écailles contaminé avait été boulotté par un chinois vorace, ce qui avait permis le passage du virus à l’homme. Des voix se sont élevées, y compris des plus éminentes pour mettre en doute cette fable en faisant ressortir que l’ADN du virus n’était pas naturel et qu’il s’agissait beaucoup plus probablement d’un accident du fameux laboratoire P4 de Wuhan, dont les protocoles de sécurité n’étaient pas correctement respectés. Le professeur Montagner, prix Nobel de médecine, a été traité de tous les noms et traîné dans la boue pour avoir publié cette hypothèse… qui est aujourd’hui reconnue comme étant vraisemblable.

La science, celle que vous prétendez incarner, c’est celle qui, à côté de découvertes ayant contribué à améliorer le sort des humains, affirmait dans le chef des docteurs de l’Inquisition, que le soleil tournait autour de la Terre et obligeait Galilée à abjurer l’héliocentrisme, c’est, plus près de nous, celle qui, dans le « comité permanent amiante », très officiel et peuplé de quelques éminents universitaires comme vous, affirmait la totale innocuité de ce produit reconnu cancérigène. Votre science c’est aussi les découvertes fabuleuses de Lyssenko en URSS, la psychiatrie soviétique un moment prise en considération par des scientifiques occidentaux, la thalidomide, le Médiator et quelques autres ratages pharmaceutiques homicides.

Alors, de grâce, un peu d’humilité. Ce doute, dont on m’a appris à l’Université que c’était l’âme de l’esprit scientifique, vous le refusez au vulgum pecus que nous sommes. Si nous doutons, nous sommes de tristes clowns. Voilà un propos strictement contraire à l’esprit scientifique.

Cette « science », contre laquelle il ne faut pas miner la confiance et créer la suspicion et le désordre, est, comme vous le soulignez implicitement, dans le chef de l’immense majorité qui n’est pas en mesure de vérifier les affirmations faites en son nom, du domaine de la croyance. La liberté de croire ou de ne pas croire est au cœur des droits de l’homme. C’est ce que vous entendez stigmatiser et en termes guerriers, éliminer.

Le débat se situe donc à un niveau supérieur qui a apparemment échappé à votre entendement : la liberté de l’individu de ne pas croire ce qu’on lui raconte, y compris, le cas échéant, en se trompant ! Cette foule de braves gens a manifesté plus de sagesse que vous, en posant la seule question qui se pose ici : non celle d’une santé publique collectiviste ayant perdu ses repères, mais celle, fondamentale, de la liberté.   

À une époque où la liberté de disposer de son corps est au cœur de toutes les évolutions, de la PMA à l’avortement en passant par la théorie du genre et l’accompagnement de la fin de vie, le droit de refuser une injection à l’utilité de laquelle il ne croit pas, serait le seul droit – immémorial – sur son corps, que l’individu aurait perdu ?

Votre proclamation, Monsieur le professeur, est une mauvaise action et le triste clown, que je suis, ne vous salue pas.

 

 Si Paname m’était conté », le film de Patrick Buisson enfin en DVD


La nostalgie n’est pas encore un crime. Elle le deviendra, soyez-en sûr, au train où la modernité avance et gangrène nos existences. Elle est pourtant le seul moyen qu’ont trouvé les Hommes pour supporter leur quotidien, pour avoir moins froid les soirs de grande fatigue. Elle est cet appel à l’aide, cette complainte désespérée qui vient du fond des âges, ce cri qui veut retenir la nuit. Se réfugier dans « hier », en l’espèce le Paris des années 50, c’est compulser, à la chandelle, un album de famille, se remémorer nos vieilles sociabilités urbaines et retrouver la trace d’une humanité instable mais terriblement vivante. Du haut d’un progrès chèrement acquis, ces marques souterraines de l’ancien monde peuvent sembler dérisoires, absurdes même. Pourquoi alors, soixante-dix ans plus tard, continuent-elles d’agir sur notre mémoire comme un aimant ? Nous revenons toujours à cet Après-guerre, borne indépassable de nos rêveries et de nos fantasmes. Tandis que l’ère du numérique nous file invariablement la courante.

Paris est devenu triste

Ce Paris disparu, royaume disparate de cafetiers, vitriers, lutteurs de foire, filles des impasses et forts des Halles a construit notre imaginaire en noir et blanc. Cette comptine des temps pas toujours heureux ni glorieux a sédimenté notre identité. Le cinéma d’Audiard, les poèmes de Prévert, les romans buissonniers de Blondin, les vins blancs frais servis au zinc, les bals populaires où les corps reprennent espoir et les seins en obus narguant le trottoir, notre histoire secrète se niche dans ces souvenirs-là. Une cour des miracles qui doit autant aux artistes qu’au sang des abattoirs, à la lumière chicaneuse du ciel qu’aux douceurs de l’édredon, un matin d’hiver. Paris était ce magma-là, incohérent et dangereux pour ceux qui ont un marteau-piqueur dans le cœur. Les promoteurs immobiliers avaient un autre rêve, peinturlurer la capitale de tracts publicitaires et rénover son habitat, quitte à faire fuir son habitant. Ils ont lessivé nos façades et ont exilé son petit peuple pour ne conserver que des boutiques et des musées. Paris ne fut pas toujours cette mégalopole hors-sol duplicable à l’infini, l’esprit canaille à la limite du féroce se moquait de toutes ces fausses valeurs. Les truqueurs n’y résistaient pas longtemps. Des barricades ou des faubourgs, des salles de théâtre ou des bistrots, on avait appris à se méfier du clinquant et de la morale des puissants. On y parlait une langue vive et imagée, les caractères s’y exprimaient plus qu’ailleurs avec une force et un aplomb que les autres régions françaises nous enviaient.

Oui, l’Air de Paris était parfois malsain à l’heure de pointer à l’usine mais il était aussi empli d’une communion réelle. Petit-fils d’un pinardier, accessoirement producteur de limonade et alchimiste du quinquina, j’ai souvent entendu mon grand-père évoquer ses escapades sur les quais de Bercy. Et j’ai vu danser, dans ses yeux, les fantômes de sa jeunesse, c’était aussi beau que la rue Lepic, un jour d’affluence. Notre société hygiéniste n’aime pas les odeurs de graillons et encore moins les remugles du passé. Elle se rengorge de transparence et de « vivre ensemble » alors que les Parisiens n’ont jamais été aussi désemparés et tristes.

Patrick Buisson à la recherche du Paris perdu

Pour humer ce parfum inimitable de Paname, celui-là même qui prend aux tripes et colle à la peau, il faut vous procurer le film de Patrick Buisson réalisé par Guillaume Laidet (produit par la chaîne Histoire et l’INA), enfin disponible en DVD chez René Château Vidéo. Ce documentaire repose sur des dizaines d’archives et des musiques d’époque, il nous dévoile un Paris oublié, à la fois miséreux et merveilleux, dans ses gestes et ses habitudes du quotidien. Vous aurez droit à un défilé de gueules splendides, on est chez Melville et Grangier, vous y apercevrez la poitrine comprimée de Dora Doll, les manières taquines de Paul Frankeur, la silhouette de Bob le Flambeur et même, subrepticement, le visage poupon de Jean Carmet accoudé au comptoir. Ce documentaire vaut également par la qualité de son style, le meilleur de la littérature populiste y est distillé. Entendre parfaitement restitués les mots de Jacques Perret, Henri Calet, René Fallet, Léo Malet, Simenon, Robert Giraud, Boudard, Marcel Aymé, Jean-Paul Clébert ou ceux d’Aragon, est un enchantement pour les oreilles. On ne saura jamais qui, de Paris ou de l’écrivain donnait du talent à l’autre. La grisaille lui allait si bien.

 

 

 

 

 

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