René Fallet, le journal d'un populiste maudit, A toutes les Filles des Comédies romantiques et Remettez-nous çà, Monsieur Blondin par Th. Morales

Les éditions Équateurs publient son journal inédit (1962-1983): 450 pages d’amertume rosse et d’amour patraque


En France, pour être lu et accessoirement compris, il faut avoir la gueule de l’emploi. Sinon votre prose sera déconsidérée, votre œuvre minorée, votre talent rejeté dans les fossés du folklore pinardier et de la farce bistrotière. C’est le prix qu’a payé et paye encore René Fallet (1927-1983). Sa postérité a du mou dans la gâchette face à tant d’imposteurs. On le relègue, un peu hâtivement, au rang d’amuseur de fin de banquet, le nez sous la jarretière de la mariée et la chopine victorieuse.

Malgré des succès en librairie, notamment Paris au mois d’août (Prix Interallié-1964), et de nombreuses adaptations au cinéma (La Soupe aux choux, Le Triporteur, Un idiot à Paris, Les Vieux de la vieille, etc…), le natif de Villeneuve-Saint-Georges traîne une double peine : un physique de cheminot à la retraite et l’écriture de romans dits populistes. Rédhibitoire pour la Pléiade et les colloques savants. Un tel C.V vous classe dans la catégorie infâmante des écrivains à gapette, documentalistes en bleu de travail, exégètes de la mouise ouvrière avec ses relents de sueur et d’eaux usées, pissotière sur le palier et toilette dans le lavabo. Les thuriféraires du vivre ensemble en HLM ne sont entendus dans notre beau pays des Lettres chéries que s’ils portent en eux un message d’espoir et d’entraide.

Mauvaise tête, anar féroce, désenchanté pathologique, réfractaire à tous les ordres établis, amoureux meurtri, individualiste forcené, Fallet n’aspirait pas à la béatification. Il n’a jamais capitalisé sur sa jeunesse pauvre quand tant d’autres se drapent dans l’armure confortable du miséreux de service.

 

Plaidoyer pour les actrices bombesques, interprètes de l’amour courtois


L’époque me terrifie. J’ai peur que la comédie romantique disparaisse au profit de l’étude des mœurs à caractère répressif. A la contractualisation des rapports, je préfère le conte de fée, commercial et calibré, dérisoire et magnifique, mensonger et libérateur. Ne nous enlevez pas cette dernière représentation naïve et désespérée des relations amoureuses ! C’est la dernière fiction moderne dans laquelle les peuples opprimés peuvent croire et puiser un peu d’espoir. Si la comédie romantique venait à disparaître, nous y perdrions assurément le goût pour le flirt foireux, l’approche fastidieuse et le sentimentalisme bancal. Tout le sel de l’existence repose sur l’incommunicabilité humaine et la rencontre fortuite.

On sait comment ça finit toujours

Nous avons déjà sacrifié sur l’autel du progressisme despotique, le slow, les crooners italiens, les voitures à douze cylindres, les plats en sauce, les blondes diaphanes et les brunes outrageusement pulpeuses. Chers bourreaux, laissez-nous plonger dans ces guimauves filmées, quitte à y laisser notre chemise et notre virilité ! Notre romantisme de supermarché vaut bien vos jugements de valeur. Nous sommes dupes et aimons ça. Nous en redemandons même. La comédie romantique est cette délicieuse fake news qui panse les plaies d’une solitude non désirée. Plus elle est grossière, plus elle émeut puisqu’elle touche à notre irrépressible besoin de rencontrer l’Autre. Y-a-t-il une autre aventure qui vaille de se lever chaque matin ? Le travail ou l’argent paraissent bien fades par rapport à la possibilité du couple même éphémère. Notre dignité sociale passe par cette union qui est appelée à se défaire un jour. Nous concourrons tous à cette quête impossible et rédemptrice. Nous misons tout notre maigre jeu et, advienne que pourra.

Partout ailleurs, dans les affaires surtout, nous manœuvrons, nous anticipons, nous déployons une énergie folle à gagner un petit sou de plus alors que dans l’amour, nous sommes béats et éternellement innocents, narcissiques et admiratifs, toujours résilients. Tant mieux. Les malins ont quelque chose de cassé dans le regard qui provoque la pitié, fuyons-les ! La comédie romantique formatée par Hollywood ne s’appuie pas sur une intrigue complexe ou un suspense haletant comme l’écrivent les mauvais romanciers, car nous connaissons déjà la fin de l’histoire. Peu importe l’issue, en l’occurrence heureuse, seuls comptent la friction entre deux êtres, le lent cheminement chaotique, la naissance du sentiment et les incompréhensions qui en résultent. Les tâtonnements forment de délicieuses meurtrissures sur la peau. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la comédie romantique ne reproduit pas des stéréotypes masculins, tous ces vieux schémas dépassés de la séduction à gros sabots, elle est éminemment féministe. Les hommes, comme à leur habitude, sont relégués à un rôle de simples figurants dans ce match truqué à l’avance. Nous sommes accessoires, n’en déplaise à Z, nous avons toujours perdu la partie et la face, ça ne date pas de 1968.

Tout repose sur l’actrice principale

Dans tous les films sirupeux à souhait, on ne s’intéresse pas à nous, que c’est reposant d’être seulement un faire-valoir, un élément du décor. L’acteur est là pour faire joli, combler les vides, faire la courte-échelle à sa partenaire, l’admirer et acquiescer. L’intensité dramatique, toute la palette des émotions, du rire au charme, de la gaffe à la vamp attitude est supportée par l’actrice principale. Son choix est crucial. Elle rayonne durant une heure et demi mais doit avancer sur une délicate ligne crète, à la fois provoquer l’emballement du spectateur et la connivence de la spectatrice, être un fantasme et une confidente, un mythe et une alliée.

La comédie romantique est sur ce point-là, éminemment égalitaire, elle permet aux très belles actrices de montrer l’étendue de leur jeu. La beauté physique dans ce milieu est souvent un désavantage comparatif. On la traîne comme un boulet durant toute sa carrière. On tente en vain de la gommer, de la masquer. Dans la comédie romantique, par postulat, l’actrice est bombesque, elle va tout mettre en œuvre pour cacher ou dissimuler son sex-appeal. Le public ne s’y trompe pas. Elle aura beau se grimer, s’enlaidir, rien n’y fera, on ne peut réprimer un physique hors-norme. La beauté est injuste et antidémocratique, par essence. Une comédie romantique est particulièrement réussie quand justement cette beauté devient, peu à peu, secondaire, on finit par l’oublier, elle est bien là, mais facultative, anecdotique, un peu désuète. Combien de plastiques trop harmonieuses ou trop parfaitement lisses ont regagné leur féminité dans la comédie romantique ? Je pense aux américaines Lake Bell (Man Up de Ben Palmer) ou Kate Upton (Escale à trois de William H. Macy) et chez nous, en France, Margot Bancilhon (Ami-ami de Victor Saint-Macary) ou Élisa Ruschke (Rupture pour tous d’Éric Capitaine). Les féministes peuvent applaudir et soutenir avec nous la comédie romantique comme une marche vers plus d’émancipation. 


REMETTEZ-NOUS ÇÀ, MONSIEUR BLONDIN !

 

« Et maintenant, voici venir un long hiver… ». C’est sur cette phrase que s’achève le roman d’Antoine Blondin. Fidèle au livre, Henri Verneuil termine son film sur le même constat désabusé et nostalgique. Un singe en hiver aura d’abord été un grand livre, prix Interallié en 1959 puis un film en 1962, monument du 7ème art dont la sensibilité à fleur de peau émeut et charme cinquante ans après. Un même décor, la Normandie pluvieuse et romantique a donné vie aux personnages de fiction imaginés par Blondin. L’histoire commence en 1959. Antoine Blondin a travaillé tout l’été à Biarritz sur ce roman qui aborde des thèmes le touchant personnellement. Il y décrit avec délicatesse sa difficulté à aimer, ses problèmes d’alcool et ses rapports compliqués avec ses propres enfants.

Ce Singe en hiver est un miroir dans lequel Blondin ne se donne pas le beau rôle. L’écrivain connu pour ses chroniques sportives dans le journal L’Equipe et ses virées alcoolisées au Bar-Bac dans le VIIème arrondissement se révèle un auteur de tout premier plan. Il y a la légende Blondin, l’homme des comptoirs, le chantre de l’amitié, des copains de rugby, des 28 Tours de France, des 5 Olympiades, du panier à salades qui parfois le récupère au petit matin, mais il y a aussi l’immense écrivain, l’un des plus grands stylistes de la langue française. Une phrase douce, mélancolique, à tiroirs multiples… On se délecte de sa prose comme l’on déguste un grand cru.

Un critique de l’époque, Bernard Frank, a qualifié de Hussards quelques romanciers qui préféraient travailler la forme au fond. Cette équipe soignait en effet son style quitte à passer pour d’affreux réactionnaires hédonistes en un temps où les consciences politiques s’éveillaient. Cette formation hétéroclite qui n’a jamais vraiment existé que dans l’esprit de Frank se composait de Roger Nimier, Michel Déon, Jacques Laurent et Antoine Blondin.

De ces quatre-là, Blondin a pris sa revanche au fil des années. Ses difficultés d’expression orale (il était bègue) et sa propension à lever le coude l’ont fait passer pour un amuseur. En 2011, il passerait plutôt pour un moraliste et les plus éminents spécialistes reconnaissent en lui l’héritier de Rabelais et de Stendhal. Avec Un singe en hiver, Blondin donne la pleine mesure de son talent. Les critiques ne s’y trompent pas en lui attribuant le prix Interallié en 1959. Roman d’amour et roman de soif, ce Singe est plein de malice et de désespoir. Blondin fait parvenir son manuscrit à son éditeur La Table Ronde par la Poste, il sait qu’il va frapper un très grand coup. Sur le récépissé du recommandé, dans la case « Valeur déclarée », il inscrit « infinie ».

On pourrait croire à un mot d’auteur ou à un excès de forfanterie. En bon connaisseur des lettres, (sa mère était poétesse et il obtint le 2ème accessit au Concours Général de philosophie en 1940), il estime son œuvre à sa juste valeur. Cet adepte de la perfection, à force d’acharnement, a rendu une copie dont il mesure la qualité et la pureté. Longtemps, il s’est débattu avec les mots, mais cette fois-ci, il a vaincu. Il a été le plus fort. L’histoire aurait pu s’arrêter là.

Gabin et Belmondo à l’affiche

Un livre primé, un auteur comblé et un classique dans toutes les bibliothèques françaises. Mais le cinéma allait s’emparer du singe. Jacques Bar, le producteur d’Henri Verneuil avoue que le film s’est fait sur un accident. Au départ, il a l’idée de faire tourner Gabin sur un bateau dans une sombre histoire de terre-neuvas. Après quelques essais infructueux sur un chalutier qui sentait trop la morue pour Gabin, Michel Audiard, dialoguiste et surtout fin lettré propose d’adapter Un singe en hiver. Audiard a le goût des répliques fracassantes et apprécie les auteurs au style flamboyant (Louis-Ferdinand Céline, Marcel Aymé et… Antoine Blondin). 

Conforme au livre, le film prend ses quartiers à Villerville rebaptisée Tigreville, une station balnéaire de Normandie entre Honfleur et Deauville. Ce village de pêcheurs accueille l’équipe de tournage. Pour la première fois, le jeune Jean-Paul Belmondo donne la réplique à Jean Gabin. Le Vieux, comme la profession le surnomme, a la réputation d’être bougon et son caractère bien trempé peut en dérouter plus d’un. Entre Pépé le Moko et L’Homme de Rio, se noue alors une forte complicité. Chacun a reconnu chez l’autre l’appartenance à la même famille d’acteurs.
Entre deux scènes, Belmondo joue au football avec les techniciens. La décontraction du jeune acteur séduit et étonne le Vieux qui préfère se concentrer avant de tourner une scène. Ce couple terrible va rencontrer sur son chemin des acteurs aussi illustres que Paul Frankeur en patron de bar irascible, Suzanne Flon en femme inquiète ou l’iconoclaste Noël Roquevert dont la boutique de farces et attrapes s’apparente à la caverne d’Ali Baba. Blondin ne pouvait espérer meilleure équipe. Henri Verneuil assisté des jeunes Claude Pinoteau et Costa-Gavras, aux dialogues, l’irremplaçable Michel Audiard qui compose des textes sur-mesure pour ses acteurs fétiches, une musique entêtante de Michel Magne et cette Normandie aux multiples variations de gris chère aux impressionnistes.

Le film sort le 11 mai 1962 à Paris dans les cinémas « Moulin Rouge », « Rex » et bien sûr « Normandie ». Le succès est immense. Dans les cours de récréation, on se répète les bons mots et l’on se remémore les scènes d’anthologie. Celle, par exemple, de la corrida où Belmondo agite aux yeux des automobilistes hallucinés une muleta imaginaire ne reculant devant aucune cascade. Une voiture vint même lui fracturer la main et on eut peur pour la suite du tournage. Du Picon bière qui était en réalité du thé servi par Monsieur Esnault (Paul Frankeur) dans le Cabaret Normand au flamenco endiablé de Belmondo sur les tables du bar jusqu’à la scène finale déchirante où l’on voit Gabin, seul, sur un banc en gare de Lisieux, uçoter un bonbon.
Antoine Blondin fut ravi du résultat, il n’en espérait pas tant. Ce film le toucha en plein cœur. Surtout qu’en cette année 1962, il perdit dans un accident de voiture son plus fidèle ami, l’écrivain Roger Nimier. Si vous souhaitez fuir les cars de touristes d’Honfleur ou la frénésie marchande de Deauville, Villerville, avec sa plage, ses rues pavées, son front de mer battu par les marées et ses belles maisons anglo-normandes possède un cachet inimitable. Et il n’est pas impossible qu’à la tombée de la nuit, vous entendiez ce dialogue féérique entre deux hommes…

« Je suis le plus grand matador français, yo soy unico…
– Vous avez déjà entendu parler du Yang-Tsé-Kiang ».

 

 

 


 

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