Salut le copain ! Livres au soleil ! et la Maladie d'Amour par Th. Morales

 SALUT LE COPAIN !

Richard Anthony (1938-2015), peut-être le plus grand, le plus charismatique chanteur des années yéyé, vient de nous quitter. Il pleut des larmes. Le train ne sifflera plus. Terminus. La voix chaude, des manières de dandy égyptien, la symbiose parfaite entre la pop britannique et le charme byzantin, une vie aux multiples rebondissements, un personnage à la Fitzgerald, un monde englouti. L’empereur du scopitone qui chantait l’amour au temps du Général et roulait en Ferrari à la ville comme à la plage. C’était au siècle dernier. L’été venu, les filles en robes vichy hésitaient encore à dévoiler un itsi bitsi petit bikini. Dans une France empêtrée dans les guerres coloniales, les baby-boomers en culotte courte n’écoutaient que lui. Il vendait alors des disques par millions ! Ses chansons rendaient la vie plus facile, moins ennuyeuse.

Et pourtant, que n’a-t-on pas dit et écrit sur ces yéyés ? L’Internationale des intellectuels germanopratins s’est déchainée à peu de frais sur les idoles des années 60 les taxant, tour à tour, de dégénérées et d’abruties. Belle leçon d’humanisme. Les plus cyniques les considéraient comme de vulgaires produits de consommation, des pantins de l’industrie du disque dont la date de péremption était inscrite au dos de leurs 45 tours. Les plus marxistes voyaient en ces jeunes désœuvrés, le bras chantant de l’impérialisme américain qui, sous couvert de roucoulades et déhanchements, détournait les forces vives de la lutte des classes. Les plus bigots fermaient les yeux devant ces corps enlacés, prémices à une sexualité forcément débridée et à la perversion des âmes.

On a donc accusé ni plus, ni moins tous ces garçons et ces filles de mettre en péril l’équilibre de notre nation. Ils avaient le dos large. Avec le recul, c’est d’autant plus risible qu’au mieux, ces nouvelles idoles du transistor triomphant ont juste balayé la vieille garde de la variété. Les Maurice Chevalier et Tino Rossi ne se sont jamais complètement remis de cette « nouvelle  vague » sonore. La chanson à texte, goualante à souhait, a fini de brailler dans nos oreilles. Remercions-les juste pour ça. Cette musique venue d’Amérique était trop facile donc idéologiquement suspecte. Elle fit cependant danser tous les adolescents sans distinction de classe sociale. Un autre monde venait de naître. De Colombey à la Place du Colonel-Fabien, les gamins de France ont vite choisi le camp du twist. Ces tubes tellement décriés, trop populaires et trop naïfs, n’étaient que l’expression légère et rêveuse d’une jeunesse en construction. Des mots simples, une mélodie entraînante, des sentiments accessibles à tous. Richard Anthony dans son costume de gendre idéal mettait du baume au cœur. Aujourd’hui, réécoutez sa reprise de Sunny, elle guérit tous les maux de la Terre.

 

 

LIVRES EN PLEIN SOLEIL ! 

À l’approche de l’été, les Français ont deux préoccupations : le barbecue (au charbon de bois, il va s’en dire, le reste n’est qu’enfumage) et la brocante. Si par bonheur, on peut réunir ces deux passions nationales, le temps d’un week-end, l’extase n’est pas loin. Merguez trop grillées et vide-greniers encombrés sont les deux mamelles d’un pays résolument tourné vers la nostalgie et la charcuterie ! La moindre commune possède à son calendrier des festivités, un marché aux objets anciens qui tient le plus souvent de l’immonde fourre-tout où, pour des raisons économiques, nos compatriotes dans le besoin espèrent arrondir leur difficile fin de mois. Dans ce bric-à-brac où s’entassent appareils électriques défectueux, jeux de société incomplets et Barbie démantibulées, la chine devient un exaltant sport d’extérieur. On y brûle plus de calories qu’en courant ou pédalant à condition de ne pas forcer sur le pain et la harissa.

Pour tous les explorateurs du dimanche matin, l’aventure commence au cul d’une camionnette. Aux premières heures du jour, la marchandise à peine déballée, ces spéléologues de l’extrême traquent leurs fantasmes d’antan. À chacun sa lubie : siphons, plaques émaillées, miniatures, poupées, pâtes de verre, bijoux fantaisie et autres réminiscences de l’enfance. Douceurs enfouies que l’on tente de faire remonter à la surface pour seulement quelques euros. Au royaume de la broc’, tous les collectionneurs finissent par trouver leur graal. Indispensable à leur équilibre mental et, faut-il le rappeler, sans abuser d’antidépresseurs. Les économistes de la santé devraient se réjouir, les écolos aussi. Recycler sans grever le trou de la sécu, la solution enfin trouvée pour rétablir nos comptes publics ! Au mois de juin, les réactionnaires sont donc à la fête. C’est le seul moment de l’année où l’on admette leur indécrottable passéisme. Ailleurs, la police de la pensée veille à ce que notre patrie ne se prélasse pas trop dans la vieillerie. On finirait par ne plus vouloir en sortir. L’Europe n’aime pas trop ces témoignages de ferveur pour une histoire forcément obsolète et stérile. La foi dans l’avenir communautaire doit balayer ces enfantillages rétrogrades. N’en déplaise à tous les progressistes, les amateurs de quinquina, de vieux outils agricoles, de faïence, de cartes postales ou de soldats de plomb font de la résistance…à leur façon. Ils se lèvent tôt pour dépenser plus.

Aux beaux jours, les journaux anciens et les livres d’occasion sortent des malles, des caves ou des bibliothèques quand elles existent encore. Ils s’aèrent l’esprit sur le pavé dans l’indifférence générale. Leur valeur dérisoire ne les protège d’aucune malveillance. Souvent, ils n’ont pas droit aux précieuses vitrines où la verroterie prend la lumière. Ils s’entassent dans des cartons ou à même le sol, flétrissent au soleil dans l’espoir de rencontrer une main amie. L’écrit outragé, l’écrit brisé, l’écrit martyrisé, mais l’écrit libéré, libéré par un promeneur du dimanche. La littérature prend tout son sens dans cette résurrection-là. On achète pour presque rien ce qui n’a pas de prix : les pensées d’un écrivain bon ou mauvais. Peu importe, le simple dessin d’une couverture peut parfois déclencher un achat. Repartir avec un livre est toujours une victoire contre l’obsolescence programmée de nos modes de consommation. Il y a du panache à exhumer un livre de poche défraîchi dans un monde trop propre pour être honnête. Le week-end dernier, pour moins de trois euros, j’ai eu la main heureuse. Quatre livres au petit format et au grand pouvoir d’évasion : Au petit poil de Yvan Audouard (Editions du Scorpion/1949), Week-end à Zuydcoote de Robert Merle (Le livre de poche/1964), Les Aristocrates de Michel de Saint Pierre (Folio/1978) et Énigme aux Folies-Bergère de Léo Malet (Fleuve Noir/1984). La saison ne fait que commencer et les trottoirs des villes semblent giboyeux. La chasse est ouverte !

 

 

LA MALADIE D'AMOUR ! 

Sur les bords de la Loire, Denis Tillinac se languit d’une bourgeoisie en voie d’extinction. En ouvrant le dernier roman du corrézien, « Retiens ma nuit » aux Editions Plon, le parfum enivrant d’une province pluvieuse et fantasmée prend à la gorge. Se dessinent alors les paysages et les rêves cabossés d’une existence protégée, loin du tumulte des métropoles. Au cinéma, Jean Rochefort affirmait que l’apparition de son vieil ami Philippe Noiret sur grand écran produisait un effet d’appartenance instantané : « c’est comme enfiler une paire de charentaises » disait-il. Une justesse de ton, un bien-être communicatif, on est immédiatement en famille, chez soi, prêt à partager les désillusions et les bonheurs fugaces de l’acteur pendant quatre-vingt-dix minutes. Les mêmes réflexes s’opèrent avec la prose de Tillinac. Il fait partie des rares écrivains à encore écrire en français ce qui, en cette rentrée littéraire, tient du miracle et d’un formidable sursaut de résistance. La langue n’a jamais été aussi maltraitée dans une indifférence quasi-générale.

Où sont les professionnels de la pétition et du désordre ? L’avant-garde culturelle ne s’aventure plus sur le terrain des mots préférant patauger dans ses fausses idées. Avec cet éternel nostalgique, défenseur des églises et des frères Boniface, aucun risque de tomber dans le politiquement correct. La dissidence lui colle à la peau. On se prélasse dans sa phrase juteuse, un bel équilibre entre l’adjectif calorique et la vigueur du style. Entre le déhanché d’Elvis et l’épopée napoléonienne. Cette fois-ci, Tillinac nous parle d’amour à la manière du clinicien Jean Freustié, sans jamais être dupe de ses propres emballements. Dans les environs de Blois et de Chaumont, François, un médecin de campagne bien marié découvre la passion avec Hélène, une galeriste mal accompagnée. En Loire, les bancs de sable ne sont pas seulement dangereux pour les nageurs, les amoureux peuvent aussi y sombrer. Ces deux sexagénaires sont frappés d’un irrépressible besoin de se rapprocher à l’âge où l’on est plutôt censé s’occuper de ses petits-enfants et soigner ses maux de ventre. Si le corps se dérobe, la tête s’enflamme. Cet amour impossible naît sous les regards croisés des proches qui désapprouvent ce ridicule démon de midi plus que passé. François n’est ni un coureur, ni un sauteur, il n’est pas atteint du syndrome « Papy boum boum » qui a fait des ravages politiques en Italie. Ce retraité des sentiments n’imaginait pas être saisi en plein cœur. Il pensait  juste organiser sa succession en profitant des douceurs ligériennes. Il chanoinisait à plein régime. « Avec Hélène, je n’avais pas peur de vieillir, encore moins de mourir. J’existais si peu » diagnostique-t-il dorénavant. Son épouse, ses enfants, sa clientèle, ses repas arrosés et son dilettantisme de bon aloi volent en éclats.

Dans ce roman tendre et brûlant à deux voix, François et Hélène racontent leur vie toute tracée jusqu’à cette rencontre (trop) tardive. Avant, les années défilaient à la vitesse d’une Micheline, sans à-coups, agissant sur l’organisme comme un puissant analgésique. Puis un jour, ce train-train déraille et ravage tout. Dans ce télescopage amoureux, Tillinac se révèle être un très fin sociologue (profession qu’il doit, par ailleurs, détester comme l’art contemporain et le bling-bling) des classes bourgeoises. La littérature ne s’intéresse plus qu’aux damnés de la terre par calcul et démagogie. La misère humaine semble décupler l’imagination de nos jeunes auteurs. Tillinac dresse le portrait d’une société de notables qui a été aussi rudement chahutée par la mondialisation. Entre les parvenus et ce vieux maillage d’aristocratie locale se jouent des rapports troubles, d’attraction et de répulsion. Les amoureux carte vermeil se débattent dans cette banale foire aux vanités pour simplement exister.

Retiens ma nuit, Denis Tillinac, Editions Plon.


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