Folies à Pigalle, Signé d'un M comme Mousquetaires ! et les Brigades du Tigre par Th. Morales

FOLIES A PIGALLE

Hiver 1978, Pigalle macère dans sa crasse. L’écrivain Louis Sanders, Grand Prix du Roman noir du Festival du film de Cognac et sapeur-pompier bénévole dans sa commune, sort sa grande échelle pour nous hisser au-delà du boulevard de Clichy, dans cette zone interlope qui s’étend jusqu’à la Butte Montmartre. « C’était étrange de vivre dans le XVIIIème, sur la Butte, au-dessus de tout ça, et d’avoir tout ça aussi près de chez soi. Tous les travelos arabes et brésiliens dans les rues qui montaient aux Abbesses » écrit-il.

Le décor glauque est planté, les héros déglingués vont pouvoir arpenter le bitume. La chute de M. Fernand  a le goût amer des sorties de boîtes, des petits matins poisseux, des stripteaseuses rhabillées, des rêves évaporés, de ces dizaines de vies à la dérive. Le dernier roman de Sanders empeste le Chivas bu au goulot et les Kool fumées à la queue leu leu. Les trois règles élémentaires du polar sont respectées : déviance sociale, amoralité de rigueur et descente aux enfers. L’abus d’alcool ne nuit pas à la qualité littéraire, au contraire, il corse l’intrigue. On ne fait pas un bon polar avec de bons sentiments. Le lecteur demande sa dose de trognes pas possibles, de destins fracassés et de coups bas. Le lecteur est un salaud, il veut bien se salir l’esprit pas les mains.

Louis Sanders se charge de cette sale besogne en exécutant un roman noir aussi plombant qu’un meeting post-électoral du PS ou qu’une allocution d’un député centriste. Fernand Legras, vague réminiscence du vrai Fernand Legros, personnalité sulfureuse des seventies, vend de faux tableaux comme d’autres truquent les grands millésimes de Bordeaux ou construisent sur des terres immergées. C’est un flibustier de la carambouille, un arnaqueur pathétique qui capte l’assistance avec des manières grandiloquentes et un vague passé hollywoodien. Ce héros scintillant habillé comme un Bee Gees, bagousé à la Liberace et roulant dans une Rolls Silver Shadow cabossée à la façon des proxénètes new-yorkais attire les emmerdes, il patauge même dedans. « Ici, il était un prince, dès qu’ils (lui et son chauffeur) arriveraient dans le VIIIème cossu il risquait de devenir un clown, un pitre, un escroc ». Sanders croque le Pigalle d’avant la grande lessiveuse quand les rues étaient vraiment grises et les mines patibulaires.

C’était avant que Paris ne se gentryfie et ne devienne un parc d’attractions pour touristes du Nouveau Monde. En quelques lignes, Sanders saisit toute la misère humaine, les chutes inévitables, vertigineuses. « Elle approchait de la cinquantaine, et elle prenait trop le soleil, elle était extrêmement blonde, mais pas mal, avec des gros bijoux en verre, comme dans les parfumeries, et un ou deux vrais diamants qui venaient se cacher au milieu de tout ça. On sentait qu’elle avait vécu ». On y est, on la voit cette patronne de boîte en mal d’amour poser un regard las sur cette piste de danse et tous ces  corps malhabiles. Sanders, économe en mots, en dit long sur la Scoumoune. Il se fait même parfois tragédien.

SIGNÉ D'UN M COMME MOUSQUETAIRES !

« Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible auquel on reconnaît le Gascon… ». C’est sous ce portrait écrit que les lecteurs du Siècle firent connaissance avec le jeune d’Artagnan, le jeudi 14 mars 1844. Le journal accueillait, en première page, le nouveau roman historique d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, qui se déclinerait bientôt en feuilleton à succès. Et depuis 170 ans, les garçons du monde entier portent le fer dans les cours de récréation ou sur les terrains vagues. Ils ne sont pas seulement animés par l’envie de combattre, de briller en duel, ces enfants ont compris l’esprit des Mousquetaires. Noblesse de cœur, courage physique, amour de la chair, appétit pour les plaisirs de la table, ces fiers gascons qui portent la casaque bleue ornée de croix fleurdelisées sont un bel exemple pour notre Nation. Ils galvanisent notre imaginaire. Ils expriment un idéal qui, en ces temps de bassesse, enorgueillit. Ils redonnent foi en des valeurs chaque jour conspuées par une élite qui a perdu le sens des responsabilités. Dans une société cadenassée et dépourvue d’espoir, ces honnêtes hommes insufflent un vent de liberté, d’aventures surtout. Et si la vie de 2014 pouvait ressembler à cette cavalcade du XVIIème siècle.

Le génie littéraire de Dumas repose sur cette soif de rebondissements et de grandeur d’âme. Nos falots hommes politiques ne remplaceront jamais un M. de Tréville. « C’était une de ces rares organisations, à l’intelligence obéissante comme celle du dogue, à la valeur aveugle, à l’œil rapide, à la main prompte, à qui l’œil n’avait été donné que pour voir si le roi était mécontent de quelqu’un et la main que pour frapper ce déplaisant quelqu’un ». Au temps des girouettes, cette fidélité au souverain impose le respect. Car ne nous y trompons pas, les intrigues à l’Elysée ou à la Cour de France n’ont pas changé de nature. Le Musée de l’Armée célèbre jusqu’au 14 juillet cette aspiration à se surpasser et à explorer cette période trouble. L’exposition Mousquetaires !  met en parallèle le roman de cape et d’épée et la véritable histoire de ces soldats nés sous Louis XIII. Entre fiction et chronologie scrupuleuse, l’exposition montre très habilement les libertés prises par Dumas mais également son ancrage dans la réalité de l’époque. Ce double-jeu, à la fois ludique et instructif, bien aidé par une collection d’objets rares (tableaux, armures, pistolets, arquebuses, vêtements, etc…) ou d’animations (extraits de films, simulations de duels, etc…) fait de cette exposition une sortie à ne pas manquer. Les vacances de Pâques démarrent bientôt alors courez aux Invalides avec vos enfants. Les cartouches explicatifs dédiés au « jeune public » sont remarquablement réalisés. On comprend tout ! Didactique et divertissante. Cette enquête chez les vrais Mousquetaires et ceux de papier nous apprend que ces soldats sont «armés du mousquet, arme lourde que l’on ne peut utiliser qu’à pied, mais restent des cavaliers qui se déplacent à cheval ». Ces Mousquetaires ont reçu une formation militaire mais demeurent des gentilshommes, ils ont appris à danser et connaissent la littérature ou les mathématiques.

Si vous n’avez jamais vu un mousquet de votre vie et si vous ne savez pas à quoi ressemblent ces fameux ferrets, l’exposition vous en donnera la réponse. Les amateurs de littérature et d’histoire sauront comment et à partir de quels éléments, Dumas a créé Milady de Winter et d’Artagnan qui mourut à Maastricht, ça ne s’invente pas. Cette noblesse combattante avait belle allure, elle n’a pas fini de propager chez les petits et les grands le panache à la pointe de l’épée.

À quoi reconnaît-on un polar réussi ? On y croise une baronne camée, un commissaire de Police accro aux cabines d’UV, un vrai-faux Dufy, forcément un parrain corse et un avocat véreux, si on ajoute le talent d’écriture pour les atmosphères pesantes, le voyage dans ce Paris sombre a de quoi vous faire oublier le nom de l’ex-Premier ministre. Comme s’appelait-il déjà ?

La chute de M. Fernand, Louis Sanders, Policiers Seuil.

 

 

 LES BRIGADES DU TIGRE

Le charme de la télévision d’antan n’était pas aussi tapageur, obscène et faussement démonstratif que l’actuel PAF qui a pris un sérieux coup dans le pif. Les programmes de cet été ont navigué entre le vide abyssal et la joyeuse tartufferie. Heureusement que le sport avec les Championnats d’Europe d’Athlétisme a mis un peu de dramaturgie dans cette canicule télévisuelle. À l’origine, dans les années 70, pour assurer le succès d’une série, on faisait appel à de solides comédiens (Bouillon, Maguelon, Tribout, Maistre), à un compositeur inspiré (Claude Bolling), à un réalisateur (Victor Vicas) passé par les studios d’Hollywood et à ce parfum de vérité historique qui émeut dès les premières notes du générique.

Il suffit d’entendre la voix de Philippe Clay interpréter « La complainte des Apaches » et d’apercevoir le commissaire Valentin, les inspecteurs Terrasson (le colosse de Rodez) et Pujol pratiquant la savate ou conduire une torpédo pour que le décor de votre jeunesse se dessine avec précision. Cette première brigade mobile créée par Clémenceau et transposée sur le petit écran par Claude Desailly entre 1974 et 1983 a passionné les français par son inimitable atmosphère d’époque. La police archaïque de Vidocq supplantée par ces techniciens aux belles bacchantes (Les Experts n’ont rien inventé !) qui apprennent à déchiffrer les empreintes digitales, à taper à la machine (engin révolutionnaire) ou à piloter une « rapide » Renault Type V, c’était de la Grande télévision intelligente, sensible et distrayante. Le premier épisode de la série « Ce siècle avait 7 ans » est une merveille de narration, de souvenirs enfouis et un formidable voyage à  remonter le temps. In retro Veritas ! Valentin, encore jeune inspecteur au début du feuilleton, enrage de ne pouvoir arrêter la Bande des Charbonniers, s’en suit alors un délicieux bras-de-fer motorisé.

Pourquoi Les Brigades du Tigre ont-elles, à ce point, marqué nos esprits ? Trente ans après, les éditions Semiose nous en donne la réponse. Elles ont réuni les gouaches originales d’André Raffray (1925-2010) qui ont servi à illustrer le générique et lui donner cette émotion naïve, cette étrange ambiance. Sans les dessins de Raffray, la série n’aurait pas connu un tel retentissement. Ces gouaches placent le téléspectateur en position de voyeur, lui donnent quelques clés de compréhension sur le scénario à venir mais surtout le mettent en condition. Ce sas de préparation psychologique avant d’entrer dans le feu de l’action est essentiel. Cet instant pourtant fugace procure un réel plaisir de télévision. Comme la montée dans les escaliers, il aiguise l’appétit du téléspectateur, lui fait échafauder des intrigues, son cerveau n’est plus inerte. Il bouillonne déjà à plein tube cathodique.

Les tableaux à la fois vivants et mystérieux de Raffray ont une puissance d’évocation qui va bien au-delà de la simple illustration. Son travail d’artiste fut reconnu dès la fin des années 70 avec les 12 gouaches de « La Vie de Marcel Duchamp » présentées dans le cadre de l’exposition inaugurale du Centre Pompidou consacrée au « grand fictif » en 1977 comme le précise Bernard Blistène en préface. Après avoir appris la retouche photographique dans le studio de ses parents et le dessin par correspondance, Raffray est engagé en 1953 au service Animation de la société Gaumont à Joinville-le-Pont dont il deviendra plus tard le responsable. C’est donc avec la rigueur de l’artisan et l’instinct du créateur qu’il se lance dans cette aventure. Chaque gouache nécessite alors une minutieuse recherche historique pour retranscrire au plus près l’imagerie du début du XXème siècle. Raffray se fait tour à tour archiviste de notre mémoire et conteur mélancolique. On parle souvent de l’écriture télévisuelle, Raffray a inventé l’enluminure télévisuelle.

Gouaches originales de la série télévisée Les Brigades du Tigre – André Raffray – Semiose Editions

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