François Cérésa, toujours aussi vert ! et Lundi soir, j'ai retrouvé ma carte d'identité par Th. Morales

 Ce grand escogriffe fait toujours parler de lui. D’habitude, on entend, chaque mois, son nom prononcé par Pascal Praud (président de son fan-club) à l’antenne de CNews. À chaque arrivage de la revue Service Littéraire, le journaliste télé se délecte de la prose vacharde et carnassière de François Cérésa, fondateur du seul mensuel irrévérencieux consacré aux livres, vendu en France libre et écrit par des non-alignés.

Cet écrivain-là ne respecte donc rien, ni les limitations de vitesse, ni la bienséance malsaine du milieu des lettres. Il écrit haut et droit, dru et nostalgique, cherchant à faire rire les copains et à blesser les salisseurs de mémoire, embarquant avec lui, les anars et les amoureux du style « Grand siècle ». Il est l’un des derniers journalistes, pourfendeur de la connerie ambiante, réac au cœur tendre, à foncer, sabre au clair, dans la mélasse et à y perdre souvent des plumes. 

Une forte tête

Notre société policée, celle de la langue morte et de la moraline en tube, a horreur des fortes têtes qui mettent le doigt sur nos faiblesses et nos renoncements. C’est un fait établi, nous avons renoncé collectivement aux romans portés par un style jouissif pour nous laisser envahir, peu à peu, par une littérature du « mini-moi » boursouflé. Cérésa s’attaque aux fausses valeurs de notre temps, avec une hargne salutaire, sans jamais oublier, d’amuser son public par l’utilisation de l’argot et du bon mot taquin, de la phrase bien balancée et de la pique sauvage. Ce type-là se permet tout. Sa geste flamboyante et désespérée devrait être enseignée dans les écoles de journalisme. On y gagnerait en qualité et en lucidité. Ce moraliste a fait ses classes chez Boudard et Nucéra, il a aussi appris à écrire sur les fortifs, du côté de Simonin. Mais le classer parmi les argotiques et les bistrotiers serait une grave erreur d’analyse. Ce vaillant hussard, longtemps établi au Nouvel Observateur, fait le pont entre la littérature populiste et les princes du stylo-plume, entre Fallet et Morand, entre A.D.G et Giono, entre Villon et Aragon. 

De son ancien maître, Maurice Druon, il aura hérité de cette posture d’aristocrate bougon qui manque tant à nos écrivains souffreteux et de cette mauvaise foi délicieusement française qui anime les dîners en ville. Cérésa, l’esprit en alerte, la vanne prête à être dégainée, possède également la générosité des mammas italiennes qui mettent trop de plats sur la table pendant les fêtes de fin d’année. Chez lui, le trop-plein est un signe de vitalité intellectuelle et de connivence. Il n’a pas la prétention des ascétiques qui dévitalisent les mots. Cérésa déborde, inventeur de formules pétaradantes, il cherche perpétuellement à faire jaillir sa prose par la farce ou la force du trait. Cette silhouette familière de la rive gauche, les femmes se retournent quand elles l’aperçoivent sur le boulevard Saint-Germain, qu’il porte une redingote ou un blouson d’aviateur, fait son petit effet. Le bonhomme fut, entre autres, mannequin durant sa jeunesse ! C’est autrement plus fortiche qu’une banale agrégation en poche. 

Un talent protéiforme

Il suffit de se balader à ses côtés pour constater son légendaire magnétisme. Chantre des Trente Glorieuses et de l’œuvre hugolienne, Cérésa a beaucoup écrit depuis les années 1980 dans tous les registres : le roman historique, le polar traquenard, le sentimentalisme écorché, la piété filiale, les amitiés sur le zinc, les souvenirs de vacances, la tortore ou sa chère Bourgogne. Jeudi dernier, sous la Coupole, l’Académie française a salué, ce talent que l’on qualifierait aujourd’hui de protéiforme, en lui décernant le Grand Prix Michel Déon qui s’attache à honorer « le style et la liberté d’esprit ». Esprit et liberté, deux mots qui vont si bien ensemble et qui lui collent à la peau. Gloire à lui et longue vie littéraire ! 

Le documentaire « Rochefort, Noiret, Marielle : les copains d’abord » de Pascal Forneri diffusé lundi dernier est à revoir !

 Comment leur résister ? On connait toutes leurs vieilles ficelles : grimoire du Conservatoire, cabotinage des studios, exhausteur des Trente Glorieuses, moustache en folle liberté et verdeur du propos, vestes à carreaux et canassons de compétition, à l’arrière d’une Bentley ou sur un balcon plongeant, cinéma de papa et clair de lune à Maubeuge, toute la lyre de notre jeunesse enfouie défile en accéléré. Et cette manière de mettre les cons à distance, de voiler les rires gamins par une émotion venue du tréfonds d’un pays en détresse. On en pleurerait tellement c’est beau, léger et intuitif, délicatement suranné et poétiquement avancé, diaboliquement courtois et complètement barré. Le sceau d’une qualité maison qui ne se pousse pas du col, qui refuse l’exégèse et la leçon, le toc et la morale, les gros sabots et la menace idéologique, simplement l’expression d’une identité singulière, la jointure céleste entre les grands textes et l’incarnation complice, entre le divertissement populaire et le respect pour un public sous le charme depuis si longtemps déjà. Ces trois-là, nés au début des années 1930, avaient l’honneur du métier en héritage et le sens du ridicule à la boutonnière. Tout le contraire d’une société du spectacle qui s’admire pour mieux nous détester. Que nous est-il arrivé collectivement pour que cet esprit-là disparaisse et l’aigreur nous monte au nez ?

Trois virtuoses

Chez d’autres, cette fantaisie carnassière semblerait ruse ou démagogie. Suspecte assurément. Il ne fait pas bon pratiquer le second degré ou la politesse grivoise en France, le détachement souverain et l’introspection non geignarde, le renoncement jouissif et le sens de l’amitié. Aujourd’hui, l’acteur doit s’exprimer sur tout, le prix du lait et les barrières douanières, la crise migratoire et les GAFAM. A force de vouloir paraître intelligent et concerné par la marche du monde, l’acteur contemporain manque cruellement à son devoir premier, celui de jouer et de nous extraire d’une si médiocre réalité. De nous divertir sans nous avilir.

Ces trois-là, virtuoses du contrepoint, nous arrachaient au quotidien par une forme d’irrévérence joyeuse et la force d’un trouble contenu, jamais pleurnichard. Leur compagnonnage sur un demi-siècle passé tient du miracle. Comment les remercier d’avoir nourri notre provincialisme à fleur de peau, notre goût pour les ors des brasseries, les chahuts enfantins et ce romantisme ébréché d’après-crise du pétrole ? Ils étaient nos maîtres sans brides, artistes sans pancartes, ultimes respirateurs artificiels dans une société qui commençait à nous asphyxier. On savait qu’à leurs côtés, la liberté ne serait pas ce mot abstrait au fronton des mairies, que dans un film mineur ou un chef-d’œuvre, leur seule présence nous emplirait d’un bonheur presque béat. Nous étions si bien avec eux, loin des calculs et des mesquineries, du vulgaire et du factice, protégés de la horde des inquisiteurs. Nous nous régénérons à leur vision nostalgique. Le documentaire de Pascal Forneri diffusé lundi (désormais disponible sur le site France TV) est un moment de connivence et de gratitude. Non, nous n’avons pas rêvé, ils étaient brillants et secrets, interprètes géniaux de nos débords, tantôt boulevardiers, tantôt tragiques, la banalité leur était complètement étrangère. Au-delà du portrait croisé, cette émission agit comme une enluminure des temps anciens. C’était donc ça, la classe et le charisme, la pulpe des sentiments et l’outrance comique. Rochefort, Noiret et Marielle mettaient immédiatement nos cerveaux disponibles en pilotage automatique. Nous enfilions nos charentaises. Chacun, avec ses plaies et sa touche personnelle, nous délivrait une partition originale, d’apparence facile et reflétant pourtant mille couches. Mille anfractuosités. Il y avait le moustachu éternellement écorché, le traînard jazzy et le dandy encombré. Comment faisaient-ils pour ne pas ombrer dans l’équivoque et l’affèterie ? Ces chevaliers du cinéma tournant explosaient telle une geste lointaine, du fond des âges. Ils s’inscrivent durablement dans notre tapisserie intime. On court, on accourt même, on les suivrait partout dans la gaudriole fessue ou le drame amoureux, avec Annie et Romy, en costumes d’époque ou en bordées, en imper ou en marinière, ils étaient notre meilleur reflet.

 

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