LE SÉNAT EN MAILLOT JAUNE
Ce matin, je montai en danseuse la rue de Médicis, faux plat mais vrai
casse-pattes, tirant un braquet bien trop gros. J’étais déjà cuit à
l’attaque du Sénat, rue de Vaugirard, les plantons avaient beau me
chambrer avec du vas-y poupou ! ou de l’éternel baisse la tête, t’auras l’air d’un coureur. Le cœur n’y était plus et j’avais les jambes en flanelle. Rideau, plus de jus, carbonisé le garçon.
Je le disais hier encore à mon mécano : « J’ai pas les jambes pour
la Rive Gauche, trop vallonnée à mon goût. Moi, je suis fait pour la
plaine, le billard, les dénivelés ça me fout le trac». Décidément,
je ne virerais jamais en tête au Panthéon. La Patrie n’est pas
reconnaissante avec ses cyclistes du dimanche, plutôt ingrate même.
Alors, j’ai mis un pied à terre. Et au lieu de brûler des calories sur
ma bécane, j’ai revécu le Tour de France en 80 photos, à pinces, ma
bicyclette à la main. Les grilles du Jardin du Luxembourg (Paris VIe) se
sont mises à l’heure de la Grande Boucle depuis le 27 mars et ce
jusqu’au 27 juillet. L’Exposition « La 100ème édition du Tour de France », accessible à tous, revient sur cette épopée nationale qui, chaque été, met notre pays en émoi.
Cette année, pour son centenaire, le Tour (du 29 juin au 21 juillet)
partira de Corse et rejoindra, comme la tradition l’exige, la capitale
après un parcours de 21 étapes, soit plus de 3 300 km ! On doit cette
expo citoyenne à la haute assemblée, chantre des terroirs, en
partenariat avec ASO et le journal L’Equipe (son fantastique fonds
iconographique fait incontestablement partie des 7 Merveilles du Sport
avec, entre autres, la pelouse de Twickenham, le green de St Andrews, la
terre battue de Roland-Garros ou encore l’anneau d’Indianapolis). C’est
gratuit, visible 24 heures sur 24, il suffit simplement de marcher sur
le trottoir pour profiter de ce spectacle de rue qui, pour une fois, ne
vous cassera pas les oreilles et ne fera pas peur aux enfants. Pas de
clowns agressifs ou de musicos dépoitraillés à l’entrée du parc, mais 80
clichés en grand format sur la plus belle course du monde. Sa
mythologie, ses champions, sa caravane, son public toujours aussi
nombreux.
Vous avez juste à lever le nez et vous faites un voyage introspectif au
cœur de notre pays. Ses paysages, ses hommes, son âme. Ça vaut toutes
les expos barbantes et payantes de Paris (qui n’en manque pas). Les
pédants parleront de pluridisciplinarité, ils feront appel à des notions
de sociologie et d’histoire pour analyser ce lien indéfectible qui unit
les français à cette course de vélo. Bien lancés, ils vous glisseront
même quelques bribes d’anthropologie, ça fait toujours cossu dans les
dîners en ville. Plus sensibles, les badauds y verront un morceau de
notre culture populaire plein de fantaisie, de nostalgie et d’exploits.
Les photos en noir et blanc de l’après-guerre ont mes faveurs. Elles
sont touchantes de simplicité comme si l’émotion n’était pas feinte à
cette époque-là. Des pistes en terre des premiers forçats de la route à
l’événement hyper-médiatique des dernières éditions, ce Tour à la fois
décrié et attendu est ancré dans nos mémoires. Il ne peut laisser aucun
français indifférent. Comme l’a dit Jean-Pierre Bel, président du Sénat,
dans son discours inaugural, citant Tristan Bernard : « Quand le Tour de France passe, la France est sur le pas de la porte ». Les parisiens et les touristes ont jusqu’à la fin juillet pour passer devant les grilles du Luxembourg.
ALLEZ FRANCE !
Nous entrons dans une intense période de commémoration. Que les moins de vingt-ans ne peuvent pas connaître… Les jeunes générations s’imaginent-elles qu’en 1983, le drapeau tricolore volait au vent de la victoire, qu’on entonnait La Marseillaise chaque week-end dans les stades ou sur les circuits et que nos champions n’étaient pas encore obsédés par leur image mais par leurs résultats ? Oui, ce monde irréel a bien existé. C’était avant la professionnalisation, le dopage médicalisé, les sponsors à l’affût, le vedettariat en guise de récompense, les droits télé maousses, les conférences de presse marketées et les JO de Los Angeles avec leurs millions de dollars.
Dire que le sport en 1983 avait conservé ses vertus éducatives
originelles, son amateurisme éclairé ou sa mission pacificatrice entre
les peuples serait quelque peu exagéré. Le sport professionnel avait
déjà entamé sa mue pour se transformer en machine à cash. La finance
internationale couvait tendrement cette nouvelle source de profit au
moment où le pouvoir socialiste lançait sa politique de rigueur. Cette
époque charnière coïncide avec les débuts de l’informatique de masse,
l’invasion du cinéma américain et l’industrie du disque triomphante.
Le bloc de l’Est ne pouvait pas résister plus longtemps à Eddie Murphy, Michael Jackson, Terminator, Rambo et le Discman
dans le cartable des lycéens. Si nous n’avions pas encore sombré dans
le spectacle mondialisé des grands rassemblements sportifs, le
chronomètre était enclenché. Quelques scrupules, vieux réflexes
marxistes, un fond d’anti-impérialisme largement partagé par l’ensemble
de notre classe politique et puis un attachement à cet étrange modèle
social issu de la Libération nous empêchaient de nous vautrer dans le
sport business. Assez rapidement, en fait, nous avons fini par céder à
la mode sportswear, aux records truqués et aux athlètes VRP.
TATI SUR LA CROISETTE !
Démobilisé en 1943, Jacques Tati se retrouve avec Henri Marquet (dessinateur/scénariste) dans le village de Sainte-Sévère-sur-Indre. Les deux hommes vont écrire ensemble un scénario puis réaliser un court-métrage qui s’intitule L’Ecole des facteurs . Il servira de base au futur Jour de fête. Une copie d’origine restaurée par Les Films de mon oncle a été projetée durant le 66ème Festival de Cannes. Et cet été, une ressortie est prévue dans les salles de cinéma autour du 24 juillet.
On doit cette renaissance numérique à Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff qui sont devenus, au fil des années, les plus acharnés défenseurs et propagateurs de l’œuvre tatiesque. Le réalisateur avait démarré son tournage en mai 1947 dans ce village du Berry mais, faute de distributeur, le film réalisé en deux versions (noir et blanc/couleurs) ne sortira qu’en 1949. Ce fameux retard à l’allumage, signe des génies contrariés. Jour de Fête recevra par la suite le Grand Prix du Cinéma Français en 1950. Primé à la Mostra de Venise, ce film champêtre et burlesque fera même un triomphe à travers le monde entier grâce à son langage universel. Les étrangers associeront à tout jamais François, le héros funambule des campagnes, à une France rurale et éternelle.
Le facteur à bicyclette, une icône frenchy de l’après-guerre aussi emblématique que Maurice Chevalier et son canotier ou Edith Piaf et sa petite robe noire. Les cabrioles de François vont cependant bien au-delà de l’exploit physique, il y a de la poésie et du romanesque dans ses numéros d’équilibriste. Tati enchaînera par Les Vacances de Monsieur Hulot, prix Louis Delluc, prix de la critique internationale à Cannes, prix Femina à Bruxelles, prix au Festival de Berlin et même une nomination à Hollywood. Avec Hulot, Tati avait trouvé un personnage à sa démesure. Il trace alors le même sillon que Chaplin avec Charlot. A chaque film, Tati aborde avec sensibilité et sagacité un sujet de société, les congés à la mer dans Les Vacances de Monsieur Hulot, l’habitat moderne dans Mon Oncle (Prix Spécial du Jury à Cannes et Oscar du meilleur film étranger en 1959). Puis, c’est le douloureux épisode PlayTime, son film le plus personnel, le plus abouti, son Metropolis. « Jour de Fête a coûté 17 millions, en a rapporté 80. Les Vacances de Monsieur Hulot ont coûté 120 millions et en ont rapporté 210. Mon Oncle a couté 250 millions et en a rapporté 600. Je me suis dit : « Ah non ! Ca a marché, j’ai une belle maison à Saint-Germain, il y a du répondant, il faut y aller. J’ai donc commencé à construire ce fameux décor, et PlayTime a coûté 1 500 millions et a eu un déficit de 800 millions » dira-t-il, un brin désabusé.
En effet, Tati avait vu (trop) grand en construisant un décor en béton, acier et verre près de Vincennes. PlayTime, œuvre monumentale au format 70 mm, sera un échec commercial. Tati a presque tout perdu, il doit liquider sa société de production Specta-films et abandonner ses droits. Même le décor magistral de cette ville imaginaire dont la construction avait duré six mois, est détruit. Il faudra attendre 1971 pour que Tati tourne une suite des aventures de Monsieur Hulot dans une production hollandaise. Trafic reprend des thèmes qui lui sont chers, ceux de l’incompréhension entre les hommes et des dérives du modernisme. La bande-annonce met en exergue cette phrase « On ne fait pas toujours ce que l’on veut avec la mécanique ». Tati croque nos comportements absurdes au volant. Pour parvenir à ce résultat, il a une fois de plus beaucoup observé : « avant de faire ce film, j’étais resté un dimanche matin pendant deux heures sur un petit pont de l’autoroute de l’Ouest. J’ai vu partir tous les parisiens à la campagne et pendant deux heures, je n’ai pas vu un seul conducteur sourire ». A vélo ou en auto, il faut revoir le cinéma singulier de Tati pour son esthétisme flamboyant, sa nature gaguesque, son désenchantement joyeux, son œil visionnaire et ce charme indéfinissable qu’on appelle le style et que les jeunes nomment désormais le swag. Tati, habitué aux anglicismes, avait sans aucun doute du swag !
*Photo: Jour de fête
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