On dirait le Sud, In the Pocket et Contes de Bistrot de Th. Morales

 ON DIRAIT LE SUD

Il y a des marques qui, instantanément, évoquent le Sud, les vacances, la plage, le temps des copains et la société des loisirs. Quand on pense à Ricard, notre mémoire se met en branle et charrie des souvenirs à la pelle. D’abord, ce logo bleu et jaune, imprimé dans notre subconscient, qui rayonne, indélébile. « Au début, j’avais utilisé l’or, mais je me rendis compte qu’il était moins éclatant qu’un beau jaune citron », écrit Paul Ricard (1909-1997) dans La Passion de créer, paru en 1981 chez Albin Michel et sans cesse réédité depuis.
Mais l’imagerie populaire Ricard ne se réduit pas aux couleurs du Midi. Ce sont aussi des slogans qui ont fait le succès de cette boisson anisée. Du catégorique « Un Ricard, sinon rien ! », au posologique « Se boit avec cinq volumes d’eau », en passant par l’énergique « Garçon ! Un Ricard ! » et l’authentique « Le vrai pastis de Marseille », c’est la France des cafés qui renaît de ces pépites publicitaires, avec ses couleurs, ses mots, ses objets aussi : broc, carafe, verre, cendrier, bac à glace, sans oublier l’inénarrable bob, couvre-chef estival iconique, ont tissé entre les Français et la marque historique de “pastaga” un lien presque familial.[access capability=”lire_inedits”]

L’exposition « Ricard SA depuis 1932 », aux Arts décoratifs, revient sur cette aventure industrielle fascinante et sur son fondateur, Paul Ricard. Cet entrepreneur visionnaire ne ressemblait en rien aux managers modernes qui se confondent avec leur bilan comptable. La visibilité et la pérennité de son entreprise reposaient sur ses épaules au point qu’il n’hésitait pas à se mettre en scène pour vanter un produit qu’il avait lui-même imaginé.

Redoutable lobbyiste, Ricard n’a eu de cesse, après la Libération, de réhabiliter le pastis, interdit en 1940 par le gouvernement de Vichy. Il remporta une demi-victoire avec le décret du 24 mai 1951 qui abrogea l’interdiction de fabriquer et de vendre du pastis à 45°. Mais la publicité par affichage et voie de presse demeurait interdite. Cela n’arrêta pas Ricard : la réclame étant autorisée sous forme de circulaires adressées aux distributeurs, d’affichage à l’intérieur des débits de boissons et de mention de la marque sur les voitures de livraison, il développa une stratégie habile centrée sur ces trois exceptions. C’est ainsi que des centaines de voitures et de camions arborant le nom de la marque constituèrent pour elle de formidables ambassadeurs.

 

IN THE POCKET ! 

 

Le Livre de Poche fête ses 60 ans. C’est en février 1953 qu’Henri Filipacchi, alors secrétaire générale de la librairie Hachette, a lancé cette collection à succès. Les chiffres donnent le tournis : 5 200 titres enregistrés au 31 décembre 2012, plus d’un milliard de volumes diffusés, des pointes à plus de 5 millions d’exemplaires pour Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier et un objectif atteint : « démocratiser la lecture ». Depuis le Numéro 1 de la série, Koenigsmark de Pierre Benoit vendu au prix de 2 francs, le Livre de Poche a rempli sa mission première : faire passer les Français pour de grands lecteurs à la face du monde. 
À tort ou à raison, le Français passe encore à l’étranger pour un petit intello sûr de lui, dégoulinant de savoir et de références littéraires. On nous nargue sur notre balance commerciale déficitaire, on nous charrie sur nos voitures aux performances modestes, on se moque de notre fonction publique pléthorique, on nous bassine avec notre manque de compétitivité atavique, mais sur les livres, pas touche ! On est les champions de la bibliothèque. Ce miracle de la brillantine culturelle, on le doit au Livre de Poche. Pour une somme modique, un Stendhal dépassant légèrement de la poche d’un imperméable, on emballait de l’Anglaise, de la Suédoise et de l’Allemande à tour de bras. C’était un temps où un Morand lu en diagonale valait toutes les rosettes et les Rolex. Ces manœuvres honteuses nous ouvraient les portes de la Communauté européenne à peu de frais. Mystère des lettres et des corps.
Les européennes se pâmaient à la vue de ces couvertures colorées qu’on laissait traîner un peu partout, dans les transports en commun ou sur nos lits d’étudiants. Elles devenaient folles, incontrôlables, quand apparaissait un Livre de Poche à l’enseigne d’Aragon, Bernanos, Chateaubriand, Claudel, Prévert ou Rimbaud. Merci Monsieur Filipacchi, grâce à votre idée de génie, compacter les Classiques, la littérature française s’est formidablement bien exportée. Vous avez, en outre, facilité tant d’échanges internationaux. Les jeunes hommes que nous étions ne l’oublieront pas de sitôt. Aujourd’hui que nous sommes moins souples, les Livres de Poche continuent de nous fasciner pour d’autres raisons. Ils nous renseignent sur les modes, les gloires du passé, ces auteurs autrefois encensés qui dorénavant se serrent la ceinture dans les caisses des marchands de livres d’occasion. Les Archibald Joseph Cronin, Pierre Nord, Pearl Buck, Daniel Rops, Han Suyin, Charles Plisnier, Armand Lanoux, Jean de la Varende, Marguerite Audoux, Georges Duhamel ou l’indétrônable Henri Troyat sont-ils encore lus de nos jours ?
Et puis, certains Livres de Poche fonctionnent comme des amulettes. On ne pourra jamais se séparer de nos numéros fétiches juste pour le plaisir des yeux. Ma combinaison gagnante : le 649, Aphrodite de Pierre Louÿs, le 2130 La Mandarine de Christine de Rivoyre, le 3230 Les pas perdus de René Fallet, le 2142 Paris est une fête d’Hemingway et le 2105 Le mépris de Moravia. Alors, longue vie au Livre de Poche.


CONTES DE BISTROT

À la lueur d’une coupure d’électricité, les habitués du café « Mon Moulin », dans le XIVème arrondissement, se racontent. Ils s’épanchent avec brusquerie comme on se libère d’un poids, comme si ce soir on pouvait tout se dire. Le temps s’arrête. C’est l’heure des confidences, des aigreurs, des souvenirs surtout. Dans cette semi-obscurité, les mots éclairent les existences simples, les vies ratées, cette poisse qui colle aux gens de peu. Le fil des histoires tisse une nappe à carreaux d’un Paris ouvrier à jamais enfoui. Celui des sorties d’usine et de la débine. Mobylette et cacahouètes. Entre chien et loup, le patron, la vieille bonne, le clochard chiffonnier, le représentant en vins, le combattant de la dernière guerre, chacun y va de sa mélancolie, de sa rengaine. Cette poésie du zinc n’a rien à voir, j’allais écrire à boire, avec un précis de soulographie.

L’alcool fort n’est pas le moteur de ce livre amer au titre plus qu’étrange.  Le Chinois du XIVème  ressort aux éditions Wombat avec une préface d’André Hardellet et des illustrations de Roland Topor. Il avait été publié une première fois aux éditions Jérôme Martineau en 1966. Pour écrire aussi justement, pour faire tinter le parler des arrière-salles, son auteur ne pouvait être qu’un natif des fortifs, un adorateur du beaujolpif. Un de ces boucaniers du pavé, inlassable arpenteur des boulevards qui sent battre le cœur de Paname. Béret sur la tête et gauloises au bec. Melvin Van Peebles n’a rien de l’archétype folklorique de l’accoudé des comptoirs, d’un croisement entre Robert Dalban et René Fallet. Melvin, c’est plutôt le genre Shaft, un père spirituel de Spike Lee. Cigare de mafioso et lunettes d’intello. Ce Noir américain né à Chicago en 1932 est un phénomène, une légende du mouvement Blaxploitation au cinéma. Touche-à-tout, à la fois réalisateur, acteur, écrivain, transfuge d’Hara-Kiri, ce mec a passé quelques années à Paris dans un temps où la Capitale attirait les vrais créateurs, ceux capables d’inventer un art nouveau et de côtoyer le populo. Et il écrit en français pur jus. « Nous croirions entendre un authentique citoyen du XIVème – ou de tout autre arrondissement populaire » se réjouissait Hardellet à la lecture de ce roman inclassable. L’imprimatur d’André valait tous les passeports officiels.

Cette féérie du bistrot séduit par l’âpreté des échanges, la dinguerie des propos et puis dans les silences de ces âmes en peine, brille une émotion brute. Quand un client s’interroge sur « boire un canon, ça, c’est une expression que j’ai l’intention d’en étudier l’origine…Une armée qui ne boit pas, c’est la loterie nationale », la drôlerie confine à la l’utopie. Cette suite de contes foutraques dessine le portrait d’une génération perdue où guerre et misère ont façonné les caractères. Le clodo se fait philosophe : « Moi, je ne veux pas aider le système, mais je ne veux pas non plus être complètement bouffé par la lutte ». Et quand le veilleur de nuit délire sur les soucoupes volantes et la supposée bisexualité des cosmonautes, il conclue « de toute façon, dans quatre ans nous serons probablement tous morts…Je m’en voudrais de semer la panique. Je vous l’ai déjà dit, mais les savants sont fous ».

Dans cette réédition très réussie, les dessins de Topor diffusent une atmosphère oppressante et nous rappellent quel grand artiste il fut. Du Chinois, il en est très peu question finalement dans ce livre, sa silhouette passe, témoin éphémère, client parmi d’autres. Chez Van Peebles, la parole circule, les récits rebondissent de table en table. Par contre, le goût de la sincérité persiste longtemps en bouche.

Le Chinois du XIVème de Melvin Van Peebles – Préface d’André Hardellet – Illustrations de Topor – Editions Wombat.

 

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