L'ai-je bien nouée ? de Th. Morales ; les cartes Postales de Pascal Louvrier, René Char ;

Éloge de la cravate en milieu hostile


N’en déplaise aux déconstructeurs, l’élégance est peut-être la dernière forme de politesse qui nous oblige et nous élève dans un pays fatigué de ces agitations parlementaires estivales. Si l’on ne croit pas sincèrement à l’allure et au style, alors la démocratie n’est qu’une vieille pelisse usée ; à jeter directement aux oubliettes de l’Histoire. Quand on souhaite représenter les classes laborieuses, on s’en rend digne. Sachez que les damnés de la Terre ne supportent pas l’approximation vestimentaire et la dégaine revendiquée. Ils ont le sens de l’étiquette. Chez les plus humbles, on respecte l’argent durement gagné et l’on se vêt convenablement lorsque la situation protocolaire l’exige. Toutes les familles modestes de France, nos grands-parents immigrés auxquels je pense ici, n’auraient pas supporté de voir leurs enfants s’exhiber en public et disconvenir aux règles élémentaires. On savait se tenir, se respecter aussi. Le négligé et le souillon ne faisaient pas partie de leur vocabulaire. Ils auraient été meurtris non pas pour une supposée faute de goût mais bien pour une insulte faite aux siens. Ils n’agissaient pas de la sorte par une quelconque soumission à un ordre immémorial. Ils étaient mus par une volonté d’extraction, d’intégration, par fierté aussi ; ils ne se vautraient pas dans le délire sémantique et l’habit inapproprié. Ils avaient conscience du ridicule et du présentable. Bien s’habiller, c’est relever la tête, être l’égal des puissants, ne pas transiger avec ses principes ; en quelque sorte, honorer sa dignité et se regarder dans une glace sans rougir de honte. Surtout ne jamais faire pitié et se lamenter sur son sort, voilà les grandes lignes directrices d’éducation qui ont animé l’esprit de nos aïeux. Nous avons été instruits dans cette exigence-là qui passait notamment par l’utilisation d’un français appris dans les livres et une tenue exemplaire. L’élégance n’est pas une question de classe d’appartenance, de patriarcat ou d’injonction commerciale. La combattre, c’est s’avilir, c’est mentir, c’est salir sa mission émancipatrice surtout lorsqu’on appartient à la gauche.

Lino et Jean d’O, mes modèles

Être élégant, c’est aujourd’hui résister au déclassement, au nivellement, à l’abaissement, à l’égalitarisme démagogique et perfide, aux raccourcis fumeux. Au lieu de m’abîmer les yeux devant ce défilé inconvenant et blessant, je préfère me référer aux anciens, revenir à mes deux guides spirituels des Trente Glorieuses. Avec eux, à mes côtés, en soutien psychologique, je suis sûr de ne pas me tromper. Ils sont toujours de bon conseil. Ils me donnent le cap à suivre. Pouvoir s’appuyer sur leur allure naturelle est un soulagement, un réconfort quand je dois m’habiller, chaque matin. Qu’auraient-ils enfilé pour cette remise de prix ou ce rendez-vous amoureux ? Je prends justement ces deux exemples car ils étaient aux antipodes de l’échelle sociale à leur naissance. Pour montrer qu’en l’espèce, le déterminisme n’explique pas tout. La citoyenneté s’exprime aussi par un habillement décent.

 

RENÉ CHAR

Hölderlin a écrit : « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » René Char (1907-1988), membre influent du mouvement surréaliste, poète entré vivant dans la prestigieuse Pléiade, devient, dès le début de la Seconde Guerre mondiale, un résistant actif contre le nazisme. C’est une réaction instinctive. Aucun compromis possible avec cette idéologie monstrueuse. Il combat les armes à la main, devient le capitaine Alexandre.

Résister, c'est entrer dans l'action pour sauver l'honneur. Ce n'est pas bavasser et jouer les va-t-'en-guerre au zinc du café. Les rodomontades mènent au gouffre. Il est bon de le rappeler à l'heure où les décérébrés nous poussent vers l'irréparable.

 

LES PLAGES DE SOPHIE 

 

Aujourd’hui, la Bretagne…


La Bretagne, cette terre à la fois furieuse et amicale, est pour moi, lointaine et proche. Lointaine car je suis une femme du Sud, et proche car coule une moitié de sang breton dans les veines de ma fille. De la Bretagne, j’aime avant tout les îles. « Belle île en mer, Marie Galante, Ouessant, Vierge des mers », la jolie scie de Laurent Voulzy m’est bien évidemment venue en tête.  Ce n’est pas de la trop domestiquée et gauche caviar Belle-Ile dont je voudrais vous parler, mais de Ouessant. Ouessant c’est vraiment le bout du monde. Après, il n’y a plus rien. «Qui voit Ouessant voit son sang, qui voit Groix voit sa croix », rappelle le dicton.

Pour tout vous dire, je n’y ai passé qu’une semaine, il y a pile vingt ans, avec le futur père de ma fille. Mes souvenirs sont donc assez imprécis. Mais, je me sens chez moi sur les îles. Au milieu de tout et de rien, en sécurité ou en insécurité, et en partance : « C’est l’eau qui vous sépare, et vous laisse à part », comme le chante Voulzy.

Une atmosphère à la Pascal Thomas

Il a fait très beau pendant notre séjour à Ouessant. En Bretagne, il ne pleut que sur les cons, c’est bien connu. Il y régnait une atmosphère de films de Pascal Thomas : nous faisions du vélo, buvions beaucoup d’apéros avec des Parisiens qui avaient des discussions de Parisiens. Mais, comme je ne fais jamais les choses à moitié, je me suis totalement imprégnée de l’ambiance celtique. Jusqu’à participer à un fest-noz et à en revenir ivre, à vélo (sans tomber, miracle de l’alcool). Je me souviens, vaguement, d’une soirée passée à chanter des chansons de marins, des vraies, pas celles d’Hughes Aufray. Nous avions même visité une des dernières maisons en terre battue. Existe-t-elle encore ?

Des plages, il ne me reste également qu’un vague souvenir. Il y a beaucoup de petites criques en Bretagne, difficiles d’accès, où l’on croise quelques vrais amateurs de solitude. Mais, du coup, même si ce n’est pas Saint-Trop, on cesse de se croire seul au monde au milieu de nulle part une fois que l’on pose sa serviette. Ce que j’aime le plus, c’est prendre le bateau. Même pendant une traversée qui dure une demi-heure, tout le monde retrouve plus ou moins l’impression enfantine de vivre une aventure de corsaire, d’être Surcouf. Même si de la traversée qui nous a ramenés à Brest, je me souviens surtout d’une féroce gueule de bois.

Cette chronique va me faire passer pour alcoolique, mais je n’ai fait que respecter les coutumes locales…

Perros-Guirec, son club Mickey et sa Vierge Marie

Quelques années après, lorsque ma fille était petite, il y eut Perros-Guirec, dans les Côtes d’Armor. C’est beaucoup plus doux, sa fameuse côte de granit rose et son sentier des douaniers, son casino, sa thalasso, sa grande plage de sable fin, où il se met à pleuvoir, comme ça, sans prévenir. Finalement, en Bretagne, il ne pleut pas que sur les cons. Mais c’est aussi et surtout pour moi, la petite enfance de ma fille : le manège de chevaux de bois, devant lequel nous attendions patiemment en faisant des signes de la main, le club Mickey sur la plage et ses trampolines. La nostalgie camarade, pour paraphraser Gainsbourg.

La Bretagne, au-delà du folklore celte, reste une terre profondément catholique : la Vierge Marie y est une star que l’on trouve dans chaque village. Comme au Mexique, cette adoration se mélange au paganisme : même les pires mécréants sont impressionnés par les Pardons du 15 août, comme dans le Tristan Corbière des Amours Jaunes : « Sainte est la chapelle sauvage/De Sainte-Anne de la Palud. » Je voyais cela comme un spectacle, un défilé paisible et coloré empreint de spiritualité, même si je disais à ma fille de ne pas croire à ces bêtises. Incorrigible que je suis! J’étais vraiment émue, cependant, par cette parenthèse hors du temps et rassurante…


Voilà, c’était ma dernière chronique estivale, un peu plus foutraque que les autres, celle-ci. « Les plages de Sophie », cela me permet de paraphraser Varda et ses plages d’Agnès : « Si on ouvrait des gens, on y trouverait des paysages, si on m’ouvrait moi, on trouverait des plages. »

 

 

 

 

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