Les collégiens sarthois auront un bracelet électronique - En attendant la pluie et il est revenu le temps des zozottes par Th. Morales

Le Conseil Départemental de la Sarthe a décidé de mettre en place un «bracelet connecté», qui collectera à la rentrée les données de 30 000 collégiens afin d’évaluer «leur forme physique, morale et sociale». Une nouvelle boîte de Pandore serait-elle en train de s’ouvrir? C’est ce que craint notre contributeur, qui dénonce la banalisation d’une société de surveillance.


Dans le but de promouvoir l’activité physique et de lutter contre la sédentarité, conséquence prévisible des confinements, les jeunes adolescents seront invités à porter leur bracelet connecté tous les jours. Bien des questions se posent, pour peu que l’on se soucie un tant soit peu du concept de dignité : Qu’est-ce qu’une “forme sociale” ? Est-ce que l’état de santé et la relation de nos enfants au sport regardent à ce point les pouvoirs publics pour qu’ils aient besoin de collecter des données personnelles ? 

N’est-il pas surprenant que les mêmes pouvoirs publics, qui ont empêché les jeunes de faire du sport pour renforcer leur système immunitaire durant la pandémie, ne les y forcent aujourd’hui, qui plus est avec des méthodes de contrôle aussi radicales ? Les enfants ne se sentiront-ils pas surveillés 24 heures sur 24 ? Et, s’ils ne se sentent pas surveillés alors qu’ils le sont, est-ce rassurant ?


Qu’adviendra-t-il du jeune garçon rondouillard qui n’est pas à l’aise avec le sport et encore moins avec l’idée d’être stigmatisé par ses petits camarades à cause des données médiocres que transmettront son bracelet ? Sera-t-il pointé du doigt dans son école s’il refuse de mettre ce bracelet ? 

N’est-il pas légitime de s’inquiéter de voir se généraliser dans la société civile une pratique que l’on réservait jusqu’ici aux criminels et aux participants volontaires d’études scientifiques ? Combien de parents diront “non” ?

 

Département de la Sarthe

Véronique Rivron, 1ère vice-présidente et Présidente de la commission en charge des Sports et Anthony Trifaut, Président de la Commission en charge de la Jeunesse et des Collèges, représentant Dominique Le Mèner, Président du Conseil départemental de la Sarthe, sont heureux de lancer le premier programme Sport-Santé départemental pour les collégiens en France !

Le but du projet « Sport-Santé Collèges », initié par l’ UNSS Sarthe, est de promouvoir l’activité physique

 

 Et si des caméras de surveillance ont pu réduire la criminalité dans les rues des quartiers huppés, alors gageons que la surveillance à domicile corrigera bientôt toutes les mauvaises habitudes et la mauvaise volonté des citoyens avant même que leur conscience ne se pervertisse… Non seulement leurs bracelets connectés les gronderont s’ils n’ont pas fait assez d’exercice, comme aujourd’hui les voitures grondent les passagers qui n’ont pas mis leur ceinture, mais il n’y aura plus qu’un pas à faire pour les punir de n’avoir ne serait-ce qu’envisager de trahir l’intérêt général.

 

 EN ATTENDANT LA PLUIE

 

Bientôt il nous faudra faire cette transition brutale entre la liesse estivale et la dure réalité de la rentrée. Thomas Morales nous aide à y faire face.


La rentrée se profile dans moins de deux semaines avec ses relents d’enfance mal digérés. Cartable neuf et liste de fournitures exhaustives ; chaussures au cuir rigide et coupe de cheveux réglementaire, formulaires administratifs à répétition et inscriptions tatillonnes. Vendanges précoces et arguties gouvernementales se ramasseront bientôt à la pelle. L’écolier et le salarié, ces enfermés volontaires, seront cernés de toutes parts, d’ici quelques jours. La routine les emportera. L’horizon se voile d’incertitudes dans une société où l’inflation est exponentielle, contrairement à la liberté d’expression qui voit sa source se tarir dramatiquement. Elle est à sec. Elle a été touchée en plein cœur du mois d’août.

Notre civilisation brûle et nous regardons ailleurs. Cette double peine en quelque sorte, la vie chère et l’opinion bafouée, n’incite guère aux bacchanales de septembre. Pour l’heure, on préfère mettre à distance l’actualité, s’en sevrer ou s’en dédouaner, à chacun son caractère. Elle nous rattrapera bien assez tôt, avec sa cohorte d’instructions contradictoires et son absence de porte de secours. Les plages sont encore chargées du parfum d’huile solaire bon marché et de l’odeur écœurante des chouchous industriels, les bikinis s’offrent leur dernier espace d’affranchissement et les balles en mousse qui viennent nous heurter sur nos transats ne sont pas mortelles. L’atmosphère caniculaire vire au flasque comme dans une œuvre dégoulinante de Dalí. Ces mois sans pluie ont fini par assommer les bronzés de Saint-Tropez et de Douarnenez. Une grande fatigue morale et physique nous empêche de nous révolter. Notre horloge biologique nous indique seulement les heures des repas et des baignades. La déconnexion est, paraît-il, un nouveau droit du vacancier. Nous sommes hébétés par cette chaleur et les discours ambiants. 

Certains retraités, au camping d’à-côté, ont la force d’écouter les informations sur leur télé portative, par habitude et lassitude. Les autres errent sur le sable, sans but, perdus dans leurs songes, rêvassant à la prochaine soirée dansante ou à cette fille aux yeux sombres aperçue dans un bar de nuit. Les corps endormis ne se réveilleront brusquement qu’à l’apéro, mus par une puissance céleste. Tous ces touristes attendent une révélation de l’au-delà. Ils savent qu’elle ne viendra pas des élites déconfites, ni d’une quête spirituelle. Et pourtant, tous ces Hommes en maillot vont être frappés par la grâce. On peut même se demander si, en réalité, las d’un soleil tapageur, chacun d’entre nous n’aspire qu’à vivre pleinement ce court moment qui donne à l’été, toute sa féérie. Car, cette averse libératrice porte l’onde de nos souvenirs.

Bien après, on ne se rappellera que cette pluie au milieu de tous ces autres jours sans fin. Elle sera le climax de notre été. Après un cagnard asphyxiant, l’eau est fêtée comme l’arrivée du messie. Une délivrance et un retour sur soi. Un appel à retrouver ses pulsions essentielles. Les orages ont tonné durant toute la nuit, au petit matin, le vent s’est levé et la météo est passée du jaune outrageant aux tonalités grisonnantes. Les nuages encombrent le paysage. Les températures ont chuté. L’air est, à nouveau, respirable. Les esprits ont, naturellement, retrouvé un peu de leur vigueur et de leurs capteurs réceptifs. La vie va irriguer nos cerveaux endoloris. Nous sommes sauvés. La plage est presque déserte, le sable souillé par les bourrasques a fait fuir les nattes et les parasols. C’est sûr, demain, il fera beau mais aujourd’hui la météo fait une pause. Pour sortir, on a enfilé un K-Way étriqué et remisé son slip de bain au placard. Les rues des stations bouillonnantes reprennent leur souffle, loin de la frénésie marchande, elles appellent à une forme de déambulation nostalgique. On ne regarde plus cette ville de la même façon. Son charme fissuré nous avait totalement échappé. Sous un rideau de pluie, elle semble plus vraie, moins peinturlurée. L’eau a ravivé nos sens. Aujourd’hui, nous ne serons pas déçus de pouvoir nager dans la mer. Pour la première fois de nos congés, nous sommes respectueux de cette immensité bleue. Ces temps morts arrachés à l’obsolescence estivale sont propices à l’introspection et à la mélancolie. Durant cette journée maussade, nous allons gentiment divaguer, échafauder des théories, retomber amoureux, nourrir notre mélopée intérieure et, qui sait, réarmer notre pensée…

 

ENCORE QUELQUES INSTANTS DE BONHEUR

Confidences pour confidences, le film de Pascal Thomas tourné en 1978 est enfin visible en streaming sur Canalvod.


Le prochain film du réalisateur ne sortira qu’en 2023. Pascal Thomas tourne actuellement dans la Vallée du Loir, entre Sarthe et Maine-et-Loire, Encore quelques instants de bonheur avec, entre autres, Pierre Arditi, Anny Duperey et Stéphane de Groodt. Avant de découvrir ce long-métrage au fumet provincial et au fort relent nostalgique, il faut réviser les classiques du dernier cinéaste français qui étudie la déliquescence du sentiment amoureux sans mièvrerie, sans l’apitoiement satisfait des intellos du caméo, avec une pointe de réaction salvatrice et d’humour troupier.

Pascal Thomas ne fait pas dans le larmoyant à thèses et la dénonciation du méchant capitaliste de service. Il ne cherche pas à conforter le public dans ses délires victimaires mais plutôt à l’extraire des débats boueux par un esprit facétieux, par la blague, par la pirouette, par la fesse rieuse, par la sauterie glandilleuse et aussi par une forme de noirceur assumée. Il sait, par expérience, que les Hommes pusillanimes et indécis sont guidés par des instincts ridicules et des élans contradictoires.

D’emblée, il absout ses personnages de leurs turpitudes, s’amuse de leur combinazione à destination sexuelle et de leur absence de convictions politiques. Avec Pascal, on est à la maison, en zone protégée, entre amours tempétueuses et ambitions avortées, entre vérité naturaliste et distance persifleuse, il nous tend le miroir tendre et corrosif de notre lente décadence ; son cinéma est primesautier, faussement classique, inoffensif en apparence car il se révèle miné, constellé, perclus de nids-de-poule, de cahotements qui rendent sa lecture plus complexe et pleine d’arrière-pensées. Dans ces œuvres, notre mémoire est assaillie par de minuscules traces d’une humanité disparue, jamais pesante, jamais déclamatoire, jamais démagogique.

Féministe sans ressentiment

La fatalité déplie sa couverture, on s’y calfeutre. Car Pascal se refuse à l’exégèse, il avance par touches. C’est un pointilliste du bonheur inaccessible, de l’incompréhension profonde des êtres et de cette solitude innée, celle que l’on dorlote en relisant Léautaud à la veillée. Avant de retourner le voir dans les salles, Confidences pour confidences sorti début 1979 est désormais disponible en streaming sur Canalvod. C’est une œuvre fanée qui continue d’embaumer les intérieurs de banlieue.

Un presque documentaire sur les aspirations plus ou moins contrariées de trois filles nées dans une épicerie, trois destins domestiques qui vont tenter de s’épanouir et de s’émanciper par le mariage, les enfants ou le travail. A l’intérieur de cette boule à neige d’antan, il y a tout ce que l’on aime au cinéma de déchirant et de populaire, de rustique et de retenue, de ridicule et d’horizon voilé, de terriblement vivant et d’asphyxiant. Ce cinéma-là féministe (le qualificatif le ferait sourire, c’est pourtant bien le cas, peu de réalisateurs ont si bien parlé des grossesses plus ou moins désirées dans un contexte législatif largement défavorable) ne nous prend pas en otage. Il distille son amertume par réverbération comme si l’on regardait notre passé récent par le verre dépoli des siphons de notre enfance, quelque chose d’atrocement douloureux et de friable, qui réussit à ne pas tomber dans le glauque et le ressentiment.

C’est un cinéma de la retenue, sur le fil, qui refuse de verser dans un sentimentalisme dégueulasse. On suit les aventures d’une famille moyenne entre le milieu des années 1950 et celui des années 1970, une tranche de France parcourue par le rock et les guerres coloniales, le déterminisme social et les rêveries confuses de jeunes filles qui vivent à cinq dans une pièce attenante à l’épicerie. Le père magistralement interprété par Daniel Ceccaldi semble dépassé par les événements intra-familiaux, il est moderne sans le savoir, il n’a ni l’autorité nécessaire, ni les préceptes éducatifs à portée de main, son dilettantisme est un nouveau progressisme. Il navigue à vue. La benjamine lit La Semaine de Suzette, l’aînée se prend déjà pour une future maman et celle du milieu veut s’extraire de cette gangue sociale par la promotion canapé.

 

Le sublime du quotidien n’est pas loin

Elles s’appellent Brigitte, Pierrette et Florence. A l’école, chaque matin, on sert un verre de lait avant de démarrer la classe. Les publicités Bouillon Kub tapissent la boutique. On se lève tôt pour charger la Juva 4 jusqu’aux Halles Baltard. La vie se déroule sur un mode mineur, entre gaieté et mélancolie, ce qui donne, à l’écran, une force et une tension insoupçonnées, une beauté éraflée qui secoue nos mentalités d’assistés et de pleurnicheurs. Les conversations sont anodines et splendides.

Quand Brigitte demande à sa grand-mère : « Tu as eu des joies, mémé ? », on défaille. Quand Ceccaldi, représentant en étiquettes, peste d’une course lointaine : « Malakoff, quel bled, je suis pas prêt d’y remettre les pieds », on jubile. Quand un futur gendre employé dans les assurances se présente comme « un self made-man », on est aux anges. Pascal Thomas a capté l’air de Paris et de sa proche banlieue, entre Mendès-France et le Concorde. Le sublime du quotidien n’est pas loin. Jacques François, Michel Galabru, Jacques Villeret et même une apparition amicale de Claude Lelouch sur une plage à Deauville complètent cette distribution. Mais surtout, il y a la voix éraillée d’Elisa Servier qui fait tressaillir notre horloge biologique. Et puis Anne Caudry (1957-1991), la petite-fille de Bernanos qui débutait ici sa carrière d’actrice; sa douleur rentrée fait un triste écho à sa destinée tragique.

Commentaires