Que faisiez- vous dans la nuit de samedi à dimanche ? et la revanche d'un homme timide par Th. Morales

Il y a 65 ans, Louis Malle tournait Ascenseur pour l’échafaud avec Maurice Ronet et Jeanne Moreau.


Quand Paris est sous la pluie et que les murs suintent d’ennui, Le Champo est le dernier refuge des désenchantés. Ils se donnent rendez-vous au Quartier latin à l’heure du déjeuner. Lundi midi, nous étions dix hommes dans la salle. Dix hommes à la recherche d’une histoire noire, au romantisme cabossé, à l’intrigue asphyxiante, sans issue, sans rédemption, sans morale, sans horizon, à la recherche d’une histoire trop stylisée pour être vraie, trop littéraire pour avoir été inventée.

Dix hommes dont le seul projet pour démarrer cette nouvelle semaine étaient de communier avec une certaine esthétique sentimentale et, disons-le, empreinte d’une douceur passéiste irrésistible. Commencer sa semaine avec un noir et blanc crépusculaire, une longue et lente déambulation jusqu’au petit matin, la trompette de Miles Davis qui cogne dans les tempes à chaque pas, l’angoisse d’un amour vorace et la fatalité comme témoin d’une union impossible. Il y a pire moment, j’en conviens, que de se retrouver entre 12 heures et 14 heures, rue Champollion rebaptisée pour l’occasion rue Louis Malle devant Ascenseur pour l’échafaud, Prix Louis-Delluc 1957 en compagnie d’un Maurice Ronet, ex-capitaine de l’Indo brûlant de désir et d’une Jeanne Moreau possédée à la blondeur mouillée.

Fatalitas !

Louis Malle (1932-1995) nous invite à un week-end diabolique où un crime maquillé en suicide dans un bureau d’affaires et la tuerie de deux touristes allemands dans un motel de banlieue vont se télescoper et se réverbérer dans la nuit de samedi à dimanche, où le mobile et l’alibi se tourneront le dos et où les amants seront les jouets du destin. Un programme autrement plus dramatique et suffocant qu’une Coupe du Monde climatisée. Une coupure d’électricité dans un immeuble et tout va se désagréger, les plans prennent l’eau, les circonstances extérieures s’acharnent et l’attente devient alors insupportable durant plusieurs heures pour les différents protagonistes de ce scénario qui tient plus de l’étouffoir que de la promenade de santé.

 

 

RENÉ GOSCINNY

À tous ceux qui nous interdisent d’affirmer que « c’était mieux avant ! », je conseille de visionner le Rembob’INA dédié à René Goscinny (1926-1977) disponible sur le site Internet de La Chaîne Parlementaire depuis Noël dernier. Quel cadeau ! Quel miracle ! Quelle fantaisie à la fois pétillante d’intelligence et si friable d’émotions ! Tous les possédés de la modernité y prendront une potion d’humour, de légèreté nostalgique, de distance poétique, de divertissement élégant, en un mot, de talent à l’état brut. Quand le vrai talent frappe, nous sommes reconnaissants d’avoir été touchés par cette grâce-là. Nous disons simplement : merci pour Astérix, pour le Petit Nicolas, pour Oumpah-Pah, pour « Le Viager », pour « Les Gaspards », pour les Dingodossiers, pour avoir ensoleillé notre jeunesse sans avoir essayé de nous acheter. Votre exigence scénaristique Monsieur Goscinny était l’assurance d’une éducation qui refusait la démagogie et la mièvrerie.
Cravate en toute circonstance

Trop souvent aujourd’hui, dans la confusion mentale qui règne à la télé et ailleurs, le talent est gonflé à l’hélium, il est survendu, chargé en matières grasses, honteusement surévalué. C’est une denrée bien commune. N’importe quel ânonneur prétentieux se prévaut du statut d’artiste qui le protège et nous oblige à ne pas le gifler. Créateurs médiocres et poseurs vindicatifs viennent perturber nos écrans pour nous vendre une chanson, un livre, un film avec la certitude d’être des génies. Leur impolitesse aurait quelque chose de comique si nos nerfs n’avaient pas été mis à rude épreuve par trente années de fausses gloires. Nous sommes fatigués par tant d’approximations et d’œuvres bâclées. N’entre pas qui veut dans le domaine des dieux de la création ! Goscinny était un véritable génie qui ressemblait à un directeur financier et s’exprimait dans un français académique. Ce bourgeois bon teint, timide et rieur, avait des manières de seigneur. Sa dissidence ne s’affichait pas dans des vêtements trop voyants ou une coupe à l’iroquoise (il portait le costume et la cravate en toutes circonstances), mais bien dans ses histoires folles et émouvantes, à la frontière du gag et des larmes, dans cet entresol que les déracinés possèdent en héritage. Les idées jaillissaient de son cerveau à la vitesse de la lumière. Ce n’est pas pour rien que le petit gaulois tempétueux fut envoyé en orbite sous la forme d’un satellite artificiel. Goscinny a inventé une langue et un rythme, un prisme enchanteur qui a conditionné notre émancipation. Il fut l’égal d’un Disney ou d’un Chaplin dans l’irradiation du merveilleux

 

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