Les Seigneurs sont de retour par Th. Morales et Rendez-nous Guy Lux par Th. Morales

 

France 5 rediffuse ce soir à 22h45 le beau documentaire «Rochefort, Marielle, Noiret: les copains d’abord» de Pascal Forneri


Ici maison ! Ah ces trois-là, indépassables, inatteignables, inqualifiables, quand ils montraient leur visage à l’écran, nous enclenchions le pilotage automatique avant même que leur voix ne résonne dans nos pensées. Ils apparaissent et, par magie, les souvenirs affluent, une joie intérieure presque religieuse s’empare de nous, un état de félicité qui nous fait oublier toutes les petitesses du quotidien, rebuffades professionnelles et impasses personnelles. On vit plus fort, plus intelligemment, plus libre aussi à leur contact, comme si nos sens jusqu’alors engourdis par une actualité déplorable, se mettaient enfin à danser, à vibrer, à s’entrechoquer, à tinter différemment. Ils donnaient à nos existences anonymes l’éclat des rêveries d’été et, au cinéma, certainement ses plus belles années. Souvenez-vous, les soirs où leurs films passaient à la télévision dans notre jeunesse provinciale, nous étions touchés par la grâce ; le lendemain matin, à l’école, nous ne parlions déjà plus de la même façon, ils avaient inoculé dans nos esprits en formation, le goût de la farce et du jeu, des mots qui cascadent et puis de cette élégance à la française, entrelacs de littérature et de discrétion, de théâtre et aussi une forme d’errance solitaire, qui fut notre but ultime. Nous ne voulions pas gagner de l’argent, briguer un pouvoir quelconque, commander ou soumettre les autres, seulement leur ressembler, porter le trench avec suavité et rire de nos bêtises, proférer quelques énormités avec un aplomb aristocratique et une diction jésuitique, chahuter les officiels de la culture avec l’ironie des désengagés, se moquer des bêlants et des fats. Les imiter même maladroitement aura été notre seule ambition intime.

 Une nation qui a connu trois seigneurs de ce calibre-là, à la fois introspectifs et fantasques, secrets et immensément populaires, regarde les acteurs d’aujourd’hui, avec désenchantement et une pointe d’amertume. Comment leur succéder ? La marche était assurément trop haute et notre société tellement habituée aux fausses rebellions et aux poseurs endimanchés, aurait bien du mal à les comprendre, à saisir leur psychologie profonde, à toucher leurs fêlures. Leur décence nous honorait ; leur distance nous obligeait. Ils ne s’exprimaient pas à tort et à travers, ils gardaient leur opinion pour eux, ils n’avaient pas l’outrageante impolitesse de penser à notre place et de dicter nos choix politiques par pur calcul médiatique. Ils jouaient magistralement, prodigieusement, sans volonté de corriger les inégalités et les injustices, sans le désir puéril d’endosser la cape d’un guide suprême, sans cette désagréable manie de se victimiser à l’infini. Ils gardaient leurs plaies fermées. Ils n’étaient les porte-parole ou porte-drapeaux de personne. Et pourtant, ils furent essentiels à notre éducation, leur refus de se regarder le nombril et de se confesser en public, de ne pas trahir les auteurs et surtout de ne pas se prendre au sérieux nous tient maintenant d’armature morale et esthétique. Sans le savoir, ils auront été de délicieux précepteurs. Nous sommes simplement heureux de les revoir ensemble ce soir dans le documentaire de Pascal Forneri car, tout chez eux, nous séduit, leur malice, leur complicité, leur attitude, leur réserve, leur classe naturelle, leur manière de traverser une si longue carrière sans geindre, leur délicatesse à éluder leurs troubles, à ne pas ennuyer et cependant, à prendre toute la lumière. Cette pudeur-là était un bien précieux dans le monde d’avant. Une valeur. Finalement, les films s’effacent devant nos grands ducs. Même les plus grands réalisateurs n’ont pas réussi à leur voler la vedette. Ces trois-là forment un tout avec leur œuvre, ils dessinent un rond parfait, une plénitude enfin retrouvée. Ils auront été nos meilleurs poètes du dimanche soir, comme l’écrivait Borges : « La poésie est peut-être la substance même de la vie ». Ils ont donné à la vie, ce souffle et cette béatitude qui nous servent de boussole. Et puis, ils nous surprennent encore, à la dérobée. Nous sentons le tressaillement intérieur de Rochefort, cette brûlure qui vient de loin, qui le consume, il arrive à se maîtriser, mais il bouillonne, il pourrait exploser à tout moment. Chez Marielle, derrière le paletot du VRP, du stentor des stations-services, il y a le méditatif, le traînard, l’artiste contemporain, peut-être plus doué pour l’abstraction que pour l’échappée boulevardière. Noiret, le plus accompli, le plus campagnard, conserve une part de mystère, les souliers sur mesure sont un leurre, qui est-il ? Pour répondre à toutes ces questions, nous n’avons pas fini de les regarder et de les vénérer.

 

GUY LUX 

« La TV des 70’s », le documentaire écrit par Philippe Thuillier, est reprogrammé ce vendredi soir sur France 3 à 21h10. À ne pas rater.


Rétrospectivement et collectivement, nous avons été sévères, trop sévères avec la télé à paillettes des Carpentier et de Monsieur Lux, des Jeux de 20 heures et de Ring Parade. Nous étions des snobs et de mauvais coucheurs. Voilà tout, des idiots incapables d’estimer notre chance. Alors que nous vivions, sans le savoir, une parenthèse enchantée, la collusion heureuse entre une certaine exigence culturelle et les prémices d’un audimat fou, l’amalgame entre la variété à patte d’eph’ et les salles silencieuses de la BNF, entre la rue de Valois et les studios de Cognacq-Jay naissait une idylle contre nature pour le bien de la Nation.

Garcimore, Danielle Gilbert, Coluche, Desproges…

Cette télé des années 1970 qui se voulait libératrice et émancipatrice, débarrassée de la tutelle de l’État tout en ne s’offrant pas aux appétits voraces de la privatisation fut initiée par Giscard, le réformateur en haut de forme, communicant auvergnat imitant les Kennedy avec un naturel « inutilement guindé », selon sa propre expression. Nouvellement élu le 19 mai 1974, le président dissout l’ORTF dans la foulée et fait sortir de son chapeau tel Garcimore, trois chaînes : TF1, Antenne 2 et FR3. En France, tout commence par une révolution de palais et se termine par de petits arrangements entre amis. Comme tous les élans refondateurs, après quelques ajustements technocratiques et des nominations sensibles, le soufflé de la liberté, cette chère irrévérence, retomba.

Avouons qu’il mit un certain temps avant de retomber. Il y eut du mou dans la zapette, donc des espaces de totale subversion, qui seraient inimaginables aujourd’hui, purent ici et là éclore ; des talents du music-hall ou de la presse écrite, Coluche et Desproges, par exemple, s’invitèrent dans le salon des Français. Et puis, vigilants, les hommes politiques s’étant habitués à leur hochet télévisuel, ils ne furent plus tellement disposés à le partager. Ils préférèrent le garder pour leur strict usage personnel et électoral. Pourtant, malgré les menaces de reprise en main et la marchandisation de la société, cette télé des années 1970 nous paraît a posteriori rafraîchissante, d’une innocence et d’une fantaisie dont nous avons perdu la recette. On la trouvait bébête, commerciale à souhait, criarde et bavarde, saturée de couleurs et de tubes obsédants.

De la tenue, du direct

Le documentaire diffusé ce soir est là pour confirmer notre méprise, il nous éclaire sur un bouillon de pop-culture qui mérite vraiment le détour. Cette télé imaginée pour les classes moyennes était finalement « élitiste » en comparaison de nos codes actuels, inventive, caustique parfois, poétique assez souvent, marrante car le direct offrait des instants de funambulisme aux animateurs et elle avait en même temps de la tenue. Les invités s’y exprimaient sans la bouillie idéologique à la mode et aussi étonnant que cela puisse paraître, avec une forme de sincérité. Quand on voit la désolation de nos samedis soir, la faiblesse des débats, la moraline à gros tube déversée sur le moindre sujet d’actualité et une floppée d’artistes ne pouvant aligner deux mots distinctement sans paraître puérils ou pontifiants… On appelle Sheila, Nicoletta, Dave et Michel Delpech à la rescousse !

Il suffit de voir le spectacle de la dernière cérémonie des César où, à l’exception de quelques professionnels du rire comme Jérôme Commandeur ou de l’élégant Benoît Magimel, le combat culturel semble perdu. Des acteurs bafouillant de gratitude, sans charme et sans malice, toujours au premier degré, dépourvu de la moindre qualité oratoire, ça laisse perplexe. Alors, on se consolera en revoyant Danielle Gilbert jonglant avec les aléas du direct aussi agile que Mabrouk dans « 30 millions d’amis », on se pincera devant un Bouvard intervieweur-agresseur d’une méchanceté jouissive ou d’un Jacques Martin ténor lyonnais soupe au lait et génial dynamiteur du ronron habituel.

Dans cette décennie bénie, Sagan passait une tête dans la lucarne, Brassens grattait sa guitare, Nino Ferrer nous emportait par sa mélancolie abrasive, Jean-Claude Brialy était un exquis maître d’hôtel, Robert Chapatte coiffait le sport, Sim se déguisait, Dorothée était émouvante et Jean-Jacques Debout écrivait une comédie musicale chaque semaine. Quelle joie également de revoir Martine Chardon et Virginia Crespeau, mes deux speakerines préférées. J’attends qu’un jour, un réalisateur s’empare du personnage de Guy Lux dans un biopic épique, à son image, flamboyant et bondissant. SVP bonsoir !

 

 

 

 

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