Lettre à Barbara par Sophie Bachat et la tentation de Chinon par Emmanuel Tresmontant

Eloge de celle dont les chansons, loin d’être moroses, célèbrent les amours et les désamours; bref, la vie.


« Ne pas parler de poésie en écrasant des fleurs sauvages, pour voir jouer le transparence au fond d’une cour aux murs gris où l’aube n’a jamais sa chance ».

Je vais donc essayer, Madame Barbara, de parler de vous sans écraser des fleurs sauvages. Il est si difficile de m’adresser à vous, vous m’intimidez de là où vous êtes : « Au jardin du bon Dieu, ça n’a pas d’importance qu’on si couche amoureux ou tombé pour la France » chantiez-vous dans « A mourir pour mourir ».

Jeme souviens bien du jour de votre mort, le 24 novembre 1997 ; à l’âge de 67 ans, vous n’aviez finalement pas été happée par l’âge tendre. Et moi, je me suis dit, en ce jour de novembre où il pleuvait des cordes, que votre absence allait me laisser un grand vide, mais comme vous étiez une sorte de prêtresse pour moi, il fallait que je reste digne : « Vous disiez, pas une larme, le jour où je n’y serai plus » (« Rémusat »).

Pas une larme donc, mais j’ai essayé, à mon infime niveau, de perpétuer votre mémoire, telle une vestale, d’entretenir votre flamme.  En chantant « Une petite cantate » à ma petite fille, pour l’endormir. Et surtout, j’ai pour vous cette magnifique anecdote : j’avais fait découvrir « Göttingen », à un ami allemand, originaire de cette ville ; cela l’avait beaucoup ému et il avait fait écouter la chanson à ses amis. Quelque temps plus tard, je leur rendis visite, et sur le mur de leur cuisine, était écrit en gros : « Madame Barbara, les enfants de Göttingen vous remercient ».

« Je vous prie de faire silence », comme vous le chantiez dans « Perlimpinpin ».

Le pardon. Vous êtes une femme qui a pardonné, certainement pour vivre plus sereinement. Aux allemands, bien sûr, car vous étiez juive, dans ce chef-d’œuvre cité plus haut qu’est Göttingen, mais aussi dans « Mon enfance », de manière plus subtile, car, comme le titre l’indique, c’est avant tout une chanson sur l’enfance, sensuelle et déchirante, « car parmi tous les souvenirs ceux de l’enfance sont les pires, ceux de l’enfance nous déchirent ». Mais en creux, nous devinons que ce coin de campagne que vous décrivez, vous aviez dû vous y cacher pour échapper aux Allemands, et que malgré le chaos, vous y aviez été heureuse : « La guerre nous avait jetés là, et nous y avions été heureux je crois, au temps béni de notre enfance ».

L’enfance, ce thème récurrent dans votre œuvre, qui nous fait comprendre que ce fut un grand chagrin pour vous de n’avoir pas donné la vie.

Enfin, vous avez réussi à mettre des mots sur le traumatisme originel, celui que vous a fait subir votre père. « Nantes », vous avez mis sept ans à l’écrire.  Cependant, point de ressentiment, ni de haine, mais une déclaration d’amour à ce père qui aurait pu vous détruire : « Depuis qu’il s’en était allé, longtemps je l’avais espéré, ce vagabond, ce disparu, voilà qu’il m’était revenu ».

Les hommes, vous auriez pu les détester. Mais non, bien au contraire, vous aviez confié à Denise Glaser (votre sosie) que c’était eux qui avaient permis à Monique Cerf de devenir Barbara. Vous les avez même croqués les mecs, car vous étiez liberté incarnée.

Vos chansons d’amour ne sont jamais larmoyantes, vous avez toujours le dessus, même dans « Quand reviendras-tu », tant pis s’il ne revient pas, car « vous n’êtes pas de celles qui meurent de chagrin, vous n’avez pas la vertu des femmes de marins ».

Les amours mortes ne sont pas pour vous ; même s’il faut cacher sa peine, il faut partir au plus beau, avant que l’amour ne meure, avant qu’il ne devienne un fardeau.

Vous ne cachez non plus pas votre goût pour les jeunes garçons, tout en étant toujours tragiquement lucide : « A peine sont-elles nées qu’elles sont déjà condamnées, les amours de la désespérance ».

Enfin, à tous ceux qui prétendent que les chansons de Barbara sont déprimantes, voire sinistres, je voudrais leur dire qu’ils se trompent, car elle a chanté la sensualité et l’émerveillement de la nature, la joie d’aimer et même de désaimer. La vie en somme. Dans toute sa beauté, ses drames, et sa complexité. 

Et moi, tout bêtement, je voudrais vous dire merci, Madame Barbara : merci d’avoir existée, de m’avoir accompagnée dans mon mal de vivre, et surtout, de m’avoir appris que la joie de vivre revient toujours.

 

 

Chinon se dresse au cœur de l’Indre-et-Loire, parmi les vignobles et les pâturages qui bordent la Vienne. Riche d’un patrimoine historique remarquablement restauré, la cité médiévale n’est pas seulement une ville-musée. Ses vignerons et son centre-ville ressuscité entretiennent un art de vivre qui séduisait déjà un certain Rabelais.


La tentation de l’exode ? Plus de 125 000 Parisiens y auraient déjà cédé en dix ans (selon l’Insee), entraînant dans leur fuite la fermeture de nombreuses classes d’écoles… Certes, depuis Attila (en 451) et les Vikings (en 845), Paris en a vu d’autres. Mais tout de même, voir ses proches s’en aller vivre à Bordeaux, comme aux débuts de l’Occupation (« depuis 1870, quand la France est en guerre, on va se réfugier à Bordeaux », écrivait Philippe Sollers), passez-moi l’expression : « Ça me la coupe ! » Aussi, si d’aventure et par malheur, nous devions à notre tour quitter la capitale, ce ne serait certainement pas pour la ville de Montaigne, mais pour celle de Rabelais : située à deux heures trente de la gare Montparnasse, Chinon est un joyau méconnu, autant que sa beauté, son calme et sa qualité devie. Une cité à taille humaine – 8 500 habitants – dépourvue d’embouteillages et de brûleurs de voiture. Surtout, alors que 60 % des communes françaises n’ont plus de commerces de proximité, elle fascine par sa vie intra-muros et constitue de ce point de vue un véritable exemple à suivre.

Chinon, tous les amoureux du vin la connaissent depuis longtemps et s’y rendent en pèlerinage en septembre, quand la lumière y est la plus belle – le peintre surréaliste Max Ernst et le compositeur Henri Dutilleux, tombés amoureux de ces rayons de soleil, avaient choisi d’y vivre.

 

 

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